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Juliette Planckaert "envelopper pour s'approcher" mai 2012

ENVELOPPER POUR S’APPROCHER

Une équipe pluridisciplinaire en relation d’enveloppement avec une personne souffrante : présence, confiance, contacts, linge mouillé, on appelle ce moment précieux de rencontre avec un autre emmuré dans sa souffrance : un pack.

Il parait plus naturel de l’appeler « enveloppement humide », cependant les personnes qui en bénéficient sont attachés à cette formulation : « c’est demain mon pack ? », ou « aujourd’hui, j’ai pack ». Ce mot connote pour eux une expérience extraordinaire, un soin qu’ils attendent, même si certains jours, ils demanderont que l’enveloppement ne soit pas mouillé, ce à quoi l’équipe accède bien sûr.

Pour les soignants1 qui enveloppent, le pack désigne des séances où ils peuvent être en relation profonde avec des personnes malades habituellement inapprochables, inatteignables. Pourquoi les soignants qui ont découvert ce soin, s’y engagent-ils tant ? C’est que s’y découvre la possibilité de rencontrer l’autre en deçà de ses murailles défensives-protectrices et de travailler à les abaisser2. Accéder à son monde interne derrière la « barrière de contact ».

C’est avec Germaine que l’aventure extraordinaire du packing a commencé en 1972. Très grosse dame, terrée dans son lit, dans un état mélancolique, elle s’en allait de plus en plus loin et se sentait disparaître. Bien qu’elle ait un gros ventre qu’on voyait comme un ballon sous les couvertures, celui-ci n’existait plus pour elle (syndrome de Cottard) : l’insupportable angoisse qu’apportait ce vide d’organes lui faisait souhaiter la mort. La sismothérapie semblait inévitable.

Se confronter à son silence terrifié était si lourd, son angoisse nous envahissait tant qu’il était difficile de rester près d’elle. Cherchant à l’approcher, à

1 Tout personnel de l’équipe soigante ou éducative ayant reçu une formation et s’engageant à participer aux séances de supervision par un psychanalyste de préférence extérieur à l’institution.
2 Cette précisison amène à comprendre combien, les indications peuvent être larges et non pas réservées aux situations extrêmes.

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rester avec elle et à témoigner de ma présence attentionnée, j’ai contacté ses pieds à travers le drap. Rien faire, qu’être là et rester en contact. Etonnement, elle
S’est animée, s’est montrée un peu soulagée, et s’est ouverte un peu à l’instant présent, elle et moi ensemble. Une réponse psychique s’est faite à mon approche (qualité de présence) médiatisée par le contact de mes mains, contact de son corps par le mien. Intuitivement, tant j’étais saisie par sa détresse, j’avais trouvé une réponse adressée à son psyché–soma : m’approchant d’elle avec mes mains, avec mon propre psyché-soma. Ce qui n’était pas possible avec la parole, car ses mots, son déni nous tenaient à distance, l’était par le contact.

Cette réponse étonnante à cette approche (le contact « psycho-tactile » haptonomique) se renouvelant le lendemain, c’était comme une révélation. Nous travaillions alors avec Roger Gentis dans le mouvement de psychothérapie institutionnelle et cherchions la possibilité de proposer à tous une psychothérapie dans la référence psychanalytique. Mais nous n’osions pas proposer les enveloppements dont nous n’avions, jusque-là, pas perçu l’intérêt.

Soudainement c’est apparu et il a été décidé qu’avec une infirmière, ces rencontres allaient se poursuivre, mais en enveloppant Germaine, toute sa personne, dans des « packs »3. Enveloppée soigneusement et souplement dans des draps mouillés, nous posions nos mains sur4 elle et sur ses pieds, avec l’intention de l’aider à sentir son existence corporelle. Quel étonnement et quelle émotion: elle s’ouvrait davantage à chaque séance. Dès la quatrième séance, deux par semaine, la conscience de son ventre était revenue ! Elle put alors exprimer la cancérophobie insupportable qui était à l’origine de sa décompensation. L’amélioration de son état psychique a continué au fil des packs : elle a senti que son ventre revenait à la santé et s’est montrée très communicative. Après son retour chez elle, c’est en bus qu’elle est venue nous retrouver pour son enveloppement hebdomadaire.

Jusque-là, nous étions amenés à toucher les personnes soignées au cours des ateliers : modelage, danse, sport, piscine, camping, coiffure... Nous cohabitions,

3 La surface de notre peau eprésente près de deux mètres carrés, le linge mouillé permet une grande surface de contact. On enveloppe complètement la personne, tête et corps, seul le visage est nu, fréquemment la personne adulte demande qu’on cache ses yeux.
4 Depuis, avec l’apport de l’haptonomie nos mains ont « avec » l’autre et non « sur »

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nous jouions ensemble, mais avec nos habits sociaux, drapeaux-emblèmes de nos positions. Habits sociaux que nous gardions aussi pour travailler dans le colloque particulier des psychothérapies (individuelles et en groupe), prenant en compte les expressions langagières et plastiques, mais excluant le toucher. Le modèle psychanalytique nous permettait des audaces, mais aussi nous limitait. Certes, la notion de psychosomatique nous était un outil familier, mais cantonné dans un seul sens : on pouvait aborder les troubles corporels par l’écoute dans la relation transférentielle. Par contre nous n’étions pas prêts à approcher par le toucher la personne dans sa corporalité comme nous l’avons initié avec les enveloppements, enrichis plus tard avec le contact haptonomique5. Ce n’est pas un corps qu’on enveloppe mais une personne.

Mais par quoi étais-je déconcertée au point d’avoir différé si longtemps de me risquer à l’enveloppement du packing? C’est que, lors des autres situations psychothérapiques, mon esprit pouvait garder la maîtrise, c’est lui que j’engageais et non ma personne entière avec son psyché-soma6. C’est pourquoi, il m’est facile de comprendre que le packing suscite encore beaucoup de réserves dans bien des équipes et qu’il soit coutumier, si on s’y risque, de le réserver aux situations « désespérées ». Quand tout s’est révélé inefficace, quelqu’un dit : « et si on essayait les packs ». Alors, on espère un miracle dû au choc au froid, à l’incongruité de la « technique » et à la « contenance-contention ».

Or il s’agit de disposer une enveloppe de draps-bras-présence autour de celui qui n’en finit plus de tomber (d’horreur, de frayeur, de solitude, de dépression, de déchirement, de...) ou de réunir ses fragments, ou de le protéger de ses hallucinations, de ses obsessions ou de ses phantasmes insupportables. Cet investissement va nous amener à être très attentifs à notre position contretransférentielle d’où l’indispensable travail de réflexion avec un tiers.

Pour cela, nous allons développer une qualité de Présence souvent inconnue jusque-là. Car envelopper pour s’approcher, c’est se mettre sur le même

5 avec Présence, Transparence et Prudence
6 D.W. Winnicott,l’esprit et ses rapports avec le psyché-soma, in De la pédiatrie à la psychanalyse. Payot 1969

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plan que la personne soignée. Ceci tant au sens propre qu’au sens figuré, car le matelas posé à terre, permet une meilleure « proxintimité » et la possibilité de se mouvoir. La personne est enveloppée complètement, mais elle n’est pas du tout immobile comme une momie.

Après la surprise de l’importance du contact par les pieds avec Germaine, nous avons découvert que ce contact est essentiel dans tout pack. Sitôt la personne enveloppée l’un des enveloppants proposera un appui ferme sous les pieds : soutien contre l’angoisse de tomber, de basculer, soutien de la verticalité de l’humain. Et deux axiomes d’Oury sont indispensables pour toute adhésion à la pratique des enveloppements. Le premier : on ne peut s’intituler « soignant » que si on accepte en retour d’être soigné par le « soigné ». Le deuxième : le pack remet en question les positions soignant-soigné, c’est pourquoi, il pose tant de questions.

L’équipe, deux à quatre personnes, doit être en mesure de ne pas questionner, pour saisir les occasions fugitives qui permettent, à la personne enveloppée, non pas de raconter, mais d’exprimer ce qui advient dans « l’ici et maintenant ». Rester présent en particulier pendant le silence. Puis au sortir des draps mouillés, après un massage, alors que la personne est encore enveloppée dans un drap sec et chaud, on propose un mode d’expression différent de ce qui a été vécu : dessin ou modelage. A ceux à qui c’est possible, bien sûr. On passe ainsi du vécu sensoriel à la possibilité de représentation plastique.

Je précise ainsi qu’il ne s’agit pas seulement de rendre la personne accessible, derrière la barrière de contact, en changeant l’environnement et le climat par l’enveloppement et le choc au froid. Car, si le choc au froid suivi d’un réchauffement rapide permet de se défaire de ses protections pathologiques ou inefficaces7, il s’agit d’être avec ensemble, d’aller à la rencontre.

7 activation d’autres sensitivo et moto-neurones

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Ce qui n’est souvent pas facile. Toutes les cures de packs ne se présentent pas de manière si encourageantes, ainsi que le montre cet extrait de la présentation de la cure d’Alice commencée en 2010 8:

Nous allons vous parler aujourd’hui, d’Alice, une femme de 41 ans, schizophrène, ayant un long passé institutionnel.
Sa souffrance psychique est difficilement supportable et son comportement engendre le rejet des autres.
Accepter c’était un peu relever un défi. Allions-nous réussir à l’aider ou au contraire la plonger encore plus dans la maladie ?

La difficulté de cette prise en charge, demandant de nous approcher au plus intime , nous a obligés à beaucoup réfléchir et à travailler sur notre ressenti, condition sine qua non pour pouvoir continuer ce soin. Nous avons planifié avec la patiente des séries de 6 ou 7 séances, toujours le même jour, au même horaire, au même endroit. Ces séries sont entrecoupées de pauses d’environ 2 semaines.

La 1ère série en mars 2010 nous inquiète. Nous nous posons beaucoup de questions sur ce que nous allons induire avec nos mains. Y a-t-il du danger ? On tâtonne... Nous sommes terrorisées par son regard qui nous transperce, nous aspire vers le vide. Rapidement nous lui recouvrons les yeux avec le drap pour l’aider à se concentrer et aussi pour nous protéger de son regard. Ça ne marche pas car elle a besoin
de « s’accrocher aux branches » dit-elle.
Dans quelle galère sommes-nous embarquées et où allons-nous ? Nous sommes prêtes à arrêter les packs.
Lors d’une supervision peu de temps après le début des packs, nous avons parlé de nos angoisses, nous les avons posées. Ce travail de réflexion en commun nous a permis par la suite d’appréhender son regard différemment. Nous sommes une bouée de sauvetage, un ancrage qui lui permet de ne pas sombrer. Son regard n’est plus dangereux pour nous, nous pouvons l’accueillir.
Au début on ne sentait pas de vie mais un grand vide qui nous aspirait. Nous avions la sensation de cylindre vide, de bout de bois mort, mais nos collègues nous renvoyaient qu’elle était vivante malgré tout9.
Quelques semaines plus tard nous organisons une réunion de constellation avec son médecin référent, son infirmier de secteur, sa psychologue et nous-équipe-de-pack. Cela finit de nous rassurer et nous débloque...nous pouvons continuer. Depuis cette période notre regard sur elle commence à changer, ce qui nous permet de mieux supporter sa souffrance, elle nous fait moins peur.

Voici l’évolution d’Alice depuis lors ainsi que le vécu de l’équipe ; au moment de son anniversaire (40 ans) Alice parle de suicide, demande à être hospitalisée, ce qui est nouveau. Jusqu’alors, elle arrivait toujours en hospitalisation sous contrainte : les

8 exposé à la journée CROIX-MARINE du 15 octobre 2011 à Blois, par l’équipe de Psy B, CHU Bretonneau.
9 Cf intervention de Pierre Delion sur « Réveiller ce qui est gelé chez le psychotique ». Journée nationale Croix-Marine, Tours décembre 2010

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packs peuvent lui permettre de demander de l’aide. Et lors de cette hospitalisation, elle demande aux soignants, « vous savez qu’on me fait des packs ? ». Alice n’était que récrimination, elle peut maintenant être dans l’échange et témoigner de la gratitude.

Le monde protecteur du pack amène à développer de la confiance, et cette confiance se découvrait chez Alice, la personne enveloppée, et aussi chez nous. Au fil des séances, plus les membres de l’équipe de packs entrent en communication avec Alice, moins elle leur paraît étrangère. Et ainsi il leur est plus facile d’être avec elle : ils sont passés de l’appréhension au plaisir.

Ceci fait comprendre l’importance d’un groupe de travail pour déposer tout ce vécu insolite, émouvant, éprouvant, y réfléchir et savoir garder la distance nécessaire. Car maintenant, pour l’équipe enveloppante, Alice n’est plus une schizophrène, elle est une femme très souffrante. Femme qui s’est engagée dans cette forme de psychothérapie qui lui convient, où elle a découvert la sécurité, le rire, l’échange. Elle perçoit bien distinctement chaque personne de son l’équipe de pack et la relation transférentielle s’effectue à la fois sur cette équipe, et sur chacune d’elles. Une infirmière qu’Alice a bien connue lors de ses hospitalisations vient d’arriver à l’hôpital de jour, quelle surprise qu’Alice puisse lui demander de participer à ses packs, sachant que celle-ci en faisait à l’hôpital.

De ne plus être dans l’appréhension d’il y a deux ans, elles commencent à mieux percevoir ses besoins, tout comme les autres collègues du collectif... On devine combien la participation soutenante de celui-ci est indispensable. Pour Alice, son infirmier de secteur apporte une autre enveloppe lui permettant de s’impliquer dans sa psychothérapie sans appréhension. Après le pack, il la reconduit à son domicile et déjeune avec elle. Elle ne manque jamais une séance. Auparavant, il venait la chercher, mais elle repartait seule, ce qui faisait une double rupture de lien.

Nous observons que sa relation aux autres a changé et qu’elle s’approprie son corps qui semble moins être un objet qu’on peut salir, utiliser, maltraiter. Elle arrive à refuser les avances des hommes et à ne plus les provoquer. Elle commence à se positionner en tant qu’individu à part entière d’abord avec « ses psychothérapeutes-packantes » puis face à

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sa mère et aux hommes. Récemment, dans le drap sec, elle a réussi modeler un « bonhomme », ceci après des mois d’essais, où elle s’est familiarisée avec la pâte, en faisant des boules qu’elle distribuait et échangeait. Pour les « packantes », c’était une grande joie: au lieu de fabriquer du délire, de la destruction, Alice façonne une représentation d’elle.

Comme pour toute entreprise psychothérapique avec des personnes en grande difficulté, commencer des packs, c’est s’engager pour longtemps10. Les séances sont organisées par séries (5, 7 ,9) afin de pouvoir faire le point avec tous entre chaque séquence et s’assurer de l’adhésion de la personne enveloppée.

Celle-ci bénéficiera de ce soin tant qu’une autre forme de psychothérapie ne pourra s’installer et suffire. Inversement, au cours d’une psychanalyse qui s’enlise, des packs peuvent permettre de dépasser la barrière obstinée forgée par l’esprit redoutable de l’analysant. Cet esprit, développé trop tôt pour éviter les agonies primitives,11 devient une « chose en soi12 » séparé du psyché-soma pour remplacer la mère déprimée ou absente. Il va s’épuiser à séduire l’esprit de son analyste. Ainsi au cours de sa deuxième analyse un homme, brillant élève depuis l’enfance (et brillant analysant !), a accepté des packs, à l’issue desquels il exprime : « ça été des moments de sérénité avec d’autres, pas seul, ça me donne la possibilité d’être, sans aucun enjeu, comme celui de devoir plaire. Simplement exister. »

Ce sont ces expériences que je souhaitais présenter dans ce texte : avec le pack, réalisé dans une vraie présence des soignants, se développe une possibilité d’enfin se sentir exister. Dominique, après une centaine de packs dira : « le pack c’est une relation, du chaud et des gens, c’est là que j’ai commencé à exister. »

Juliette Planckaert Mai 2012

Texte écrit à la demande du comité de rédaction de la revue Souffles

10 il y aura jusque 100 séances, en sachant que les séances n’ont lieu qu’avec l’accord de la personne malade.
11 ou angoisses disséquantes, D.W.Winnicott,La crainte de l’effondrement, in La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Gallimard 2000

12 cf : D.W. Winnicott, L’esprit et ses relations avec le psyché-soma, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot 1969

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Bibliographie sommaire :
P. Delion, Le packing avec les enfants autistes ou psychotiques Toulouse, ères, 2003

P. Delion, Le corps retrouvé, franchir le tabou du corps en psychiatrie, érès, 2010 Roger Gentis, Un dispositif de non-savoir: le packing p.200 in Le corps sans

qualités, 1995, érès

J. Planckaert, Le packing n’est pas l’extrême onction, in La pratique du packing avec les enfants autistes et psychotiques en pédopsychiatrie, érès

J. Planckaert, Le packing, une plongée dans l’intime, Revue Santé Mentale; dossier : la fonction contenante, n°135, fév. 2009

J. Planckaert, Le packing ou enveloppement humide L’univers psychocorporel, Encyclopédie Hachette 1990



10/09/2012
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