Philippe chavaroche:La relation “corps soigné - corps soignant” dans la cure de packs
5 octobre 2005 colloque de Lille
La relation “corps soigné - corps soignant” dans la cure de packs
Philippe CHAVAROCHE
Si les effets de la cure de packs sont maintenant bien identifiés dans le champ théorico-clinique des autismes et psychoses en terme de “limites du corps”, de “contenance”, on ne saurait oublier que cette “technique du corps” est avant tout mise en oeuvre par une équipe soignante, un “corps soignant”
En ce sens, la cure de packs s’inscrit dans le champ institutionnel, elle est partie intégrante de ce que l’on a peut être perdu l’habitude de nommer la “psychothérapie institutionnelle”!
Chaque cure de packs repose sur un dispositif institutionnel qu’il convient de penser, d’élaborer, de mettre en oeuvre et, bien sûr, de soutenir face à l’aventure de la rencontre avec le patient, rencontre marquée, comme le dit J Oury, par le “hasard”.
Ce dispositif, ce “praticable”, s’étaye en tout premier lieu sur des éléments très matériels comme la mise à disposition d’un local, de draps et couvertures, de glace pour refroidir les linges, de boisson chaude pour la fin de la séance...
Dès cette phase apparemment très pratique se mobilise autour du patient une “attention”, une “préoccupation” partagée par des acteurs aussi différents que l’équipe soignante, la cuisine pour la glace et les boissons, la lingerie pour les draps... De la possibilité d’organiser institutionnellement de manière “suffisamment bonne” cet agencement tangible dépend très certainement l’efficience et l’efficacité du travail thérapeutique à venir. On sait que les patients psychotiques se saisiront autant de la concrétude de notre action que de nos discours et l’organisation matérielle du dispositif de packs leur témoigne très directement notre intention de soin.
Tout dysfonctionnement dans cette organisation pratique peut-être alors lue comme une faille de la fonction contenante institutionnelle.
Le dispositif thérapeutique de la cure de packs repose également sur la constitution d’une équipe de “packeurs”: un “corps soignant”.
Dans un premier temps du projet de soin, la constitution de cette équipe qui va tenter de “faire du corps” avec les éléments morcelés du corps du psychotique nous semble très importante et demander une attention particulière.
Nous pratiquons depuis maintenant de nombreuses années des packs auprès d’adultes déficitaires souffrant de troubles autistiques et psychotiques massifs accueillis dans une perspective de soins aux longs cours.
Ces patients sont pris en charge, pour la vie quotidienne, dans des unités regroupant environ 10 malades encadrés par des soignants et des éducateurs.
Ils peuvent être, momentanément ou de manière plus durable, pris en charge dans une unité de soins plus médicalisés au sein de chaque service.
Elaborer un projet de packs pour ce type de patients demande du temps, notamment pour constituer l’équipe qui va conduire ce travail thérapeutique. La plupart du temps cette équipe est composée de 4 soignants pour assurer une contenance suffisante à des patients souffrant d’angoisses de morcellement très importantes. Outre les questions de disponibilité du personnel toujours très cruciales dans une gestion contrainte des moyens humains, notre attention se porte également sur la composition de l’équipe de “packeurs”, comment va-t-on penser ce corps soignant, comment va-t-on même le “rêver”?
Chaque fois que cela est possible, nous faisons le choix de constituer une équipe hétérogène dans ses relations avec le malade.
Si ce corps soignant doit présenter les qualités de contenance nécessaires pour constituer une enveloppe physique suffisamment solide face aux angoisses de morcellement du malade, il nous semble qu’il est intéressant qu’en son sein même, des positions différentes puissent y être tenues par chaque soignant.
C’est pour nous une des conditions de la mise en histoire du patient (D Stern), d’élaborer autour de lui une « enveloppe narrative » (J Hochmann). C’est pour cela que les équipes de packs pour ces patients sont le plus souvent constituées de soignants plutôt proches du patient, ceux qui l’accompagnent dans la vie quotidienne par exemple, et de soignants plus externes, souvent des soignants d’autres unités, ne connaissant pas ou très peu le patient.
Cette dissymétrie induit une sorte “d’appel à la narration” tant sur des éléments de l’histoire du patient dont certains sont dépositaires que sur des éléments simples de la vie quotidienne qui peuvent être mis en récit: comment se passent ses journées, les petits évènements, les personnes qu’il rencontre...
Avec ces patients souvent très régressés, sans langage, c’est sur cette capacité à “faire du récit” de l’équipe soignante du pack que va reposer, en grande partie, la dynamique thérapeutique de la cure.
Or cette mise en pensée, en “rêverie” au sens de Bion, ne va pas de soi, l’équipe peut être aspirée dans la sphère autistique, vidée, voire “vidangée” de toute activité psychique.
C’est ce qui fut vécu, durant quelques séances, pour le pack de Marianne, patiente autiste adulte en phase de régression intense.
Sur plusieurs séances, il ne se passe pas grand chose... Marianne semble bien, elle se détend bien, mais se replie sur ses sensations, ses bruits de gorge. Elle ne communique pas du tout, répétant inlassablement les mêmes séquences.
Du côté des soignants, c’est une espèce de léthargie qui les gagne peu à peu. Au fil des séances, chaque soignant se replie sur lui, n’échange quasiment plus de regards avec les autres soignants, lutte contre le sommeil qui l’envahit, ressent dans son propre corps raideurs et douleurs.
Ce sont les “packs dormeurs” comme les soignant les appellent, seulement ponctués par les bruits, produits à leur insu, par leurs appareils digestifs.
Cette phase de “chosification” quasi organique, de repli dans un monde des sensations du corps soignant montre la puissante interaction entre Françoise qui s’installe dans une sphère autistique d’où l’équipe soignante est exclue. Cette dernière se sentant ainsi “négativée” dans sa dynamique relationnelle, se fige, elle, aussi dans une position quasi autistique.
Cette situation est douloureuse pour l’équipe qui a bien conscience de cette situation mais ne trouve pas le ressort nécessaire, sur plusieurs séances, pour se sortir de ce monde inerte, cette “glaciation” comme l’appelle S Resnik.
La remise en vie psychique du corps soignant passera par une bribe de narration, l’évocation par un membre de l’équipe de chansons que lui chantait sa mère lorsqu’elle était enfant. Un autre soignant proposera alors de chanter à Marianne des comptines, ce qui ne se fera qu’après beaucoup d’hésitations et de gêne tant l’équipe était prise dans cette gangue autistique.
Dès les premiers couplets, l’effet fut immédiat pour le corps soignant, de la vie réapparaît, des rires, des échanges de regard, de la détente corporelle...
Marianne réagit à cette manifestation vivante de l’enveloppe soignante, se fait plus attentive, abandonne ses productions sonores rituelles. Des échanges sont alors possibles entre elle et l’équipe de “packeurs” redevenu un corps vivant. *
Pour la cure de packs de Patrick, la dissymétrie au sein de l’équipe soignante du pack va jouer un rôle important.
Patrick est un patient adulte qui a présenté des épisodes aigus de troubles du comportement avec auto agressivité et hétéro agressivité ayant entraîné des blessures chez des membres de l’équipe soignante. Ne pouvant plus être pris en charge au sein d’une unité de vie, il est accueilli dans une chambre de l’infirmerie pavillonnaire où il est camisolé une grande partie de la journée. Les soins quotidiens sont assurés par l’équipe soignante de l’infirmerie et les éducateurs ou soignants de l’unité de vie qu’il l’accueillait avant ces épisodes de violence.
Il semble que son corps n’est pas contenu dans une enveloppe cutanée suffisamment résistante et que toute béance laisse échapper l’angoisse de morcellement qu’il agit dans des cris, de l’auto et de l’hétéro agressivité. L’enveloppe contenante et sécurisante de la camisole ainsi que la contenance des lieux d’infirmerie et la rigidité des protocoles organisant ses soins contribuent à le doter d’une peau relativement solide qui le sécurise dans des limites corporelles et lui donne, a minima, le sentiment de sa propre continuité sans que la menace de destruction ne soit trop intense. Toute fragilité dans cette enveloppe, un lien de sa camisole pas assez serré par exemple, réactive chez lui de massives angoisses et les troubles du comportement qui les accompagnent.
Toutefois, l’enveloppe contenante de la camisole, si elle présente pour lui un intérêt évident pour sa sécurité physique et psychique, induit un effet de sidération au sein de l’équipe: il devient de plus en plus difficile de penser Patrick hors de cette camisole.
Le désir de le sortir de ce symbole d’une psychiatrie d’un autre âge est certainement présent mais l’équipe a bien conscience de ne pouvoir le faire au risque de voir très rapidement réapparaître une violence que personne ne souhaite revivre. Il se crée donc autour de Patrick une sorte de sédimentation, on peut considérer que l’équipe est comme “collée” à ce dispositif.
Pourtant, le sentiment d’impasse reste présent et certains membres de l’équipe pensent que “ça ne peut plus durer!”, “il faut faire quelque chose!”
Un premier écart dans ce “collage” est amorcé dans la proposition d’une cure de packs pour Patrick.
La composition de l’équipe qui va conduire les séances de packs constitue une autre ouverture par rapport au dispositif jusqu’alors très fermé et ritualisé de sa prise en charge. L’équipe sera constituée de thérapeutes du “dedans” et de thérapeutes du “dehors”. Des soignants de son unité de vie (qui participent avec les soignants de l’infirmerie à ses soins quotidiens) et le psychologue du pavillon constituent l’équipe du “dedans”, ils connaissent bien Patrick, certains ont une longue histoire institutionnelle avec lui. Il est fait appel à des thérapeutes externes, une infirmière et une psychologue d’un autre service qui ne connaissent pas Patrick, qui n’ont jamais eu à le prendre en charge.
Un écart est donc crée, dès la constitution de l’équipe des “packeurs”, entre ceux qui le connaissent et ceux qui ne le connaissent pas, entre ceux qui ont vécu ses épisodes de violence et ceux qui ne les ont pas vécu, entre ceux qui ne peuvent penser Patrick qu’encore contenu dans sa camisole et ceux qui ont plus de liberté pour le “rêver” dans sa propre “peau”.
L’enjeu sera de créer un lien entre les membres de cette équipe sans qu’elles ne fusionnent et notamment que l’angoisse des soignants du “dedans” ne contamine les soignants du “dehors” et ne les empêchent de “rêver” Patrick. Il faudra aussi éviter qu’elles ne s’affrontent ce que l’on peut parfois sentir lorsque les soignants du “dehors” “rêvent” justement un peu trop Patrick et que l’équipe du “dedans” les rappelle à la réalité!
Le maintien de ce lien entre ces positions presque antagonistes est capital pour que s’instaure un “jeu” possible (terme que l’on peut entendre à la fois dans son sens très mécanique et dans une acception ludique, transitionnelle au sens de Winnicott.)
Mais ce jeu n’est possible que contenu dans une organisation très rigoureuse, sous la responsabilité du cadre pavillonnaire. La détermination d’un calendrier précis, la composition du groupe de thérapeutes pour chaque séance, la prévision des absences de tel ou tel intervenant contribuent à agencer autour de Patrick un cadre stable, sûr, prévisible.
Dans de nombreuses séances où Patrick investit pleinement les sensations corporelles amenées par le pack, les soignants tissent autour de lui une “enveloppe narrative”, ceux qui le connaissent le racontent à ceux qui ne le connaissent pas. Il se montre très attentif et semble s’approprier cette “mise en récit” de son histoire. Il répond par quelques mots que les soignants familiers décodent comme l’évocation de ses parents. Il imite les cris d’animaux de la ferme ce qui renvoie à son enfance et permet des jeux oraux avec l’équipe de packeurs.
Il semble aussi que se met en place pour lui une différenciation entre la perception corporelle (le froid lors de l’entrée dans le pack) et la mentalisation de cette perception. Mais il lui faut du temps et, à sa demande, l’équipe devra l’envelopper très lentement, contrairement à ce que l’on pratique d’habitude. Il paraît réinvestir ses sensations corporelles sur un mode moins anxiogène alors que la seule sensation qu’il pouvait tolérer avant était celle que lui procurait la camisole.
Son regard devient très présent, communicatif et vecteur d’émotions que l’équipe peut partager avec lui.
A la suite d’une restructuration institutionnelle, quelques nouveaux soignants sont amenés à intégrer l’équipe du pack pour remplacer ceux qui doivent partir. Ce nouvel écart créé au sein du corps soignant va permettre de mettre en mots les représentations qu’ils pouvaient avoir de Patrick, certains le connaissaient sa“réputation de violent” dans le pavillon. La narration de ce qui s’est passé dans le pack va leur permettre de poser un nouveau regard sur lui, une de ces nouvelles soignantes du pack peut lui dire sa satisfaction de pouvoir ainsi le rencontrer sans avoir peur. Il est réceptif à ces évocations de sa violence comme si ce retour “désintoxiqué” de son angoisse pouvait l’aider à se la représenter, à la mettre en pensées. Il parle de la piqûre (peut-être un rappel des injections qu’il a pu recevoir lorsqu’il était très violent), de l’épée de Zorro, du cri du lion et de sa peur des chevaux.
Il induit des mouvements contre transférentiels diversifiés au sein de l’équipe. Avec une soignante particulièrement, il investit sur un mode relationnel assez fusionnel, un peu “infantile”. Il semble incorporer ces moments comme du “bon” dont il profite pleinement. Avec d’autres soignants au contraire, la relation se situe sur un mode beaucoup plus distant. Le travail de supervision permettra que ces positions ne se clivent pas. Les épisodes symbiotiques vont peu à peu disparaître, Patrick ne semble plus en avoir besoin.
Il se tient mieux corporellement, sa motricité se délie, ses gestes deviennent plus amples. il semble qu’il perçoit mieux son corps, notamment dans le mouvement qu’il peut penser et contrôler. Avant le mouvement s’exprimait chez lui dans des décharges motrices clastiques et violentes destinées à évacuer l’angoisse.
Si l’illusion qu’un jour Patrick pourrait vivre un jour sans camisole était bien présente au début de la cure de pack, il semble que cet enjeu soit moins prégnant. Il continue à avoir besoin de ce contenant, mais de manière moins systématique et, souvent, il peut accepter qu’elle soit moins serrée. La camisole, d’objet de premier plan qui faisait écran à toute autre perception de Patrick, elle paraît être maintenant passée en “objet d’arrière plan” (G Haag). Elle est toujours là, nécessaire comme appui pour que d’autres objets, psychiques ceux-là, puissent s’inscrire.
La cure de pack a permis de se déplacer avec Patrick d’une seule position contenante ayant une fonction de “pare-excitation”, tant pour lui que pour l’équipe soignante du pavillon, à une structure en “double feuillet”.
Tout en conservant le feuillet “pare-excitation”, un autre feuillet, détaché du premier, permet l’inscription des traces psychiques qui font sens pour lui, (il peut évoquer son histoire, dire ses pensées) que pour l’équipe (peut-être dans ce qu’on nomme souvent dans les institutions le “changement de regard” sur un patient).
L’enjeu autour de Patrick est certainement de conserver cette structure thérapeutique en “double feuillet”. D’une part maintenir la fonction “pare-excitation” au moyen de la camisole et du dispositif institutionnel très cadré et, d’autre part, faire vivre avec lui et autour de lui un espace psychique pour le penser, penser avec lui et qu’il pense par lui-même, comme une sorte de matrice psychique institutionnelle pour que sa propre psyché vienne s’y “mouler” (P Gabbaï)
Ce travail met en évidence l’importance de que l’on nomme habituellement la “fonction contenante” dans le travail auprès de psychotiques en proie à de massives angoisses de:morcellement. Mais cette fonction contenante, si elle n’est pas reliée à ce que Bion nomme la “fonction conteneur” (rêverie, mise en pensées, langage...), peut se sédimenter.
Dans la cure de packs de Patrick, la dissymétrie organisée au sein de l’équipe soignante a peut-être permis que se construise cette “fonction conteneur” par le tissage d’une “enveloppe narrative” pas trop intoxiquée par le vécu traumatique de beaucoup de soignants vis à vis de sa violence.
Le recours à des soignants externes, ne connaissant pas Patrick, et donc moins intoxiqués par ce vécu, a certainement été utile.
* Cette expérience clinique autour de Marianne a fait l’objet d’une communication aux Journées du GERSE (Groupe d’Etudes et de Recherche du Sud-Est sur la déficience mentale) « Ce corps qui parle », Albertville, Mai 1992.
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