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Valérie Dufour-Cochelin: Le traitement d’une position autistique par la méthode des enveloppements humides thérapeutiques (les packs)

Le traitement d’une position autistique par la méthode des enveloppements humides thérapeutiques (les packs)

AuteurValérie Dufour-Cochelin[1] [1] Assistant socio-éducatif, Centre d’activités...
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du même auteur

Hôpital San Salvadour
CATE
BP 80
83407 Hyères Cedex


Le travail que nous allons tenter de décrire ici est effectué auprès de personnes sévèrement handicapées, qui n’ont de possibilités d’expression qu’à travers des comportements moteurs perturbés ainsi qu’au travers de décharges motrices autovulnérantes. Ces manifestations semblent répondre à deux nécessités fondamentales : permettre au sujet de prendre conscience de sa propre existence et/ou élever entre lui et la réalité extérieure une barrière qui empêche toute intrusion surprenante. Pour ces sujets automutilateurs sans langage, s’est imposée une prise en charge thérapeutique axée sur le corps : les enveloppements humides (packs).

2Les packs (ou enveloppements humides) ont pour but de donner au patient une prise de conscience progressive du schéma corporel tout en contrôlant ses tendances autodestructrices et agressives. Le pack est rassurant, structurant et met en place des traces mnésiques capables de servir d’organisateur de contenant de pensées. Il favorise l’ébauche des fonctions du Moi-Peau en particulier la fonction de « maintenance du psychisme » décrite par D. Anzieu (1985).

3Les enveloppements humides thérapeutiques (ou packs) pratiqués en France au siècle dernier ont été réintroduits en 1966 par Woodbury. La technique a été décrite en 1850 : il s’agissait de plonger le patient dans une baignoire où seule la tête dépassait... Il y restait plusieurs heures. Cette méthode a été proscrite.

4En 1960, les enveloppements humides thérapeutiques ont été remis au jour par le biais de l’accompagnement du malade, on parle de schéma corporel. L’enveloppement humide est réactualisé par la pensée psychanalytique. L’idée est de guérir la maladie mentale sans aliénation par les médicaments ou l’isolement, en essayant de reconstruire l’histoire du sujet. Il s’agit d’un traitement psychocorporel à base d’enveloppements humides froids ou chauds (serviettes ou draps préalablement immergés dans de l’eau froide – environ + 2 degrés – ou préchauffés), dans un environnement précis où le patient est soutenu psychologiquement. Le pack engendre une réaction physique de réchauffement qui amène le patient à ressentir son corps dans sa globalité physique et psychique.

5Les indications concernent les troubles psychotiques graves, aigus ou chroniques, particulièrement s’il existe une perturbation du schéma corporel, un sentiment de dépersonnalisation ou une certaine agitation. Il y a une seule contre-indication majeure : l’insuffisance cardiaque.

6S’inscrire dans la réalisation d’une cure de packs suppose :

  • une connaissance des modalités techniques (préparatifs matériels, méthode d’enveloppement) ;
  • la ritualisation des séances ;
  • la stabilité de « l’enveloppe soignante » ;
  • une méthode rigoureuse d’observation de l’évolution des patients (le groupe a réalisé une grille d’observation à cet effet) ;
  • la participation à une supervision de groupe.

7Avec trois ans d’expérience clinique, au travers de cinq études de cas et le matériau apporté par les commentaires de G. Haag que nous avons sollicitée dans notre pratique, nous allons tenter de retracer les grandes étapes de cette aventure.

LE ÏLA

8Le ïla, 29 ans, est issue d’une fratrie de deux enfants. Elle est née à terme, mais l’accouchement long et difficile a occasionné une anoxie néonatale. Le diagnostic posé est celui d’une encéphalopathie d’origine indéterminée. Elle se présente comme une jeune femme aux traits fins, au corps assez harmonieux mais très mince.

9Dès l’âge de 9 ans, on note un mérycisme récurrent et un comportement oral archa ïque qui peut mettre en danger ses fonctions vitales : ingestion de produits ménagers, de marc de café, de terre. Son absence de toute notion de danger incite les soignants de l’unité à mettre en place pour la jeune fille une technique de contention (Le ïla sera corsetée à son lit) qui, de ponctuelle, deviendra quotidienne au fil des années.

10Le ïla va ancrer son comportement dans une attitude de repli (tête entre les bras refermés autour de ses genoux), repoussant tout contact corporel et refusant les échanges par le regard. Elle vit nue le plus souvent et se badigeonne avec ses excréments. Les manifestations autovulnérantes de type ingurgitation/régurgitation vont s’accentuer, paraissant répondre à une logique interne : celle de la nécessité de se sentir exister.

11Nous expliquons le mérycisme de Le ïla dans une dimension d’autostimulation. Si, à ce jour, elle présente une pathologie gastrique, elle est à notre avis la conséquence de la manifestation de reflux depuis de nombreuses années et non sa cause. La cause étant sans doute la désaffectation affective et sensorielle précoce de Le ïla et l’absence de stimulations.

12A. Guedeney (1995) écrit : « Le mérycisme occupe une place assez particulière au sein de la psychopathologie précoce. Les apports récents sur le développement du bébé apportent des éléments nouveaux à la compréhension du mérycisme qui entretiendrait des liens avec la rupture du lien, la recherche de sensation, la dépression [...] L’observation du nourrisson permet de constater que l’acte se produit lorsque l’enfant est seul, dans un état de vide et de somnolence, lorsque rien ne retient son attention et n’excite sa curiosité. »

13Le mérycisme se rencontre dans trois principales situations cliniques : chez les jeunes enfants carencés, chez les sujets handicapés mentaux et dans un groupe plus restreint d’adultes intellectuellement intacts. Cette description de vide rappelle l’isolement sensoriel dans lequel Le ïla s’est souvent retrouvée.

14L’étude de Mayes et coll. (1988) et celle de Sauvage et coll. (1985) insistent sur la dimension de l’autostimulation dans le mérycisme et le corrèlent à des organisations psychopathologiques (enfants carencés, autistes, psychotiques). Spitz (1968), des années plus tôt, avait évoqué le mérycisme dans sa description de la dépression anaclictique. Le seul traitement proposé dans cette perspective psychodynamique du mérycisme est celui de la relation parents/enfant et plus précisément mère/enfant (Boucher, 1987 ; Kreisler, 1974).

15Lorsque Le ïla a 24 ans, ses problèmes de santé (on diagnostique une œsophagite) et sa cachéxie nous incitent à proposer une prise en charge spécifique. Étant donné son attirance pour l’eau, nous pensons à la balnéothérapie. Le cadre sécurisant et contenant des bains thérapeutiques a très vite permis la mise en place d’échanges relationnels : acceptation du contact corporel, brefs échanges par le regard, émissions de sons plus ou moins modulés.

16Les séances consistent d’abord en des tentatives toujours renouvelées de s’immerger sous l’eau et d’y rester le plus longtemps possible. Peu à peu un intérêt pour l’autre (l’éducatrice) s’est ébauché par un échange ludique. Un jeu d’aspergement mutuel commence alors et Le ïla émet ses premiers sourires dans une modalité d’interaction.

17Deux ans plus tard, l’équipe des packs[2] [2] Valérie Dufour-Cochelin (ASE), Marie-Paule...
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nouvellement composée décide d’innover la technique avec Le ïla. La cure serait à notre avis susceptible d’affiner et d’optimaliser ses compétences émergeantes en matière de communication.

18Les premiers packs sont difficiles pour Le ïla. Toute tentative d’enveloppement complet sera vouée à l’échec. Nous pensons qu’elle doit associer cette maintenance à la contention qui lui est imposée dans le service. Nous lui expliquons ce que nous attendons de ces séances, que la cure nécessite l’acceptation d’un minimum de contraintes, mais que nous comprenons ses réticences. Nous optons pour la solution de laisser ses bras à découvert et commençons notre approche par le dos, puisque Le ïla se retranche dans sa position habituelle. De temps en temps, elle nous jette un coup d’œil furtif.

19L’accrochage par le regard se fera dès la cinquième séance. Deux des membres de l’équipe diront qu’ils ont ressenti ce regard comme « une tentative d’entrer en nous ». Ce regard se fera au fil des séances de plus en plus captatif, voire intrusif, Le ïla nous attirant tout près d’elle, allant jusqu’à poser son visage contre le visage de l’une d’entre nous. Le contact par le regard, jusqu’alors évité, devient lieu d’échange, de dialogue, au travers de la mimique durant les premières séances. À partir de là, elle accepte la position allongée.

20Au début de la dixième séance, un soignant nous dira qu’après le pack, souvent, elle se frappe violemment le visage. Nous mettons sur cette manifestation un commentaire basé sur l’intuition : « Nous aussi on vit beaucoup d’émotions en te regardant dans les yeux, et on comprend que pour toi ce soit si fort que, débordée par cette émotion, tu aies besoin de te frapper pour te ressaisir ; bientôt tu vivras mieux ces situations très fortes et tu n’auras plus besoin d’être violente envers toi-même. » G. Haag apporte un étayage psychanalytique à cette conduite : « Les sujets à forte contenance autistique, lorsqu’ils sont investis, peuvent avoir des moments de rage intense et manifester des réactions émotionnelles violentes [...] Le regard combiné au corps (dos) est l’indice d’une organisation de la première peau. Vont naître des angoisses persécutrices, celles d’un regard qui pénètre, d’où parfois le passage à une autre automutilation. » Pour elle, Le ïla désirait tellement qu’on la regarde à nouveau, qu’elle nous a appelés de cette manière.

21Le treizième pack voit un jeu de cache-cache s’instaurer, initié par Le ïla. Elle se cache les yeux avec ses mains puis écarte les doigts, nous regarde, referme ses doigts. Une éducatrice imite sa conduite, en ponctuant l’écartement des doigts par un « coucou » sonore. Le ïla rit puis saisit la main de l’éducatrice, la porte à sa bouche entrouverte et aspire doucement. Elle la lâche d’un mouvement brusque, met sa propre main devant sa bouche et l’aspire à son tour. Elle va émettre ensuite une lallation très longue et très soutenue, le visage épanoui. Nous pensons qu’elle a réussi à maîtriser un affect très vif et en tirer plaisir. Dans sa « Grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité », G. Haag (1995) désigne cette étape de langage par le terme « SECCSV=Sensation - Émotion - Construction corporelle et spatiale vocalisée, dans la construction et la perception du Moi-corps et dans la relation. Les jeux vocaliques seraient l’expérimentation vocale de la perception et de la construction des liens de communication qui commencent à être perçus dans les articulations du corps et de l’espace, et qui ont forme de “boucles de retour” [...] Les lallations supposent que la bouche soit récupérée dans l’image du corps » (1995, p. 508).

22Les séances suivantes porteront essentiellement sur le schéma corporel : nomination des différentes parties du corps, travail sur les hémicorps droite/gauche, le dos et l’axe. Son mérycisme est en nette régression. La pesée de Le ïla nous révèle à la quatorzième séance qu’elle a pris 3 kilos.

23À partir du vingtième pack, nous voyons Le ïla anticiper les séances, venir à notre rencontre et nous entraîner vers la salle de bain. Elle se déshabille seule, tire elle-même les draps sur son corps. Mais elle va s’extraire très rapidement des draps pour commencer à explorer son corps. Cette exploration est ponctuée de nos commentaires, Le ïla sourit et émet différents sons, nous regardant alternativement. Nous lui expliquons succinctement le rôle de la peau (enveloppe protectrice qui protège notre corps, l’entoure, et permet à tout ce qui est contenu à l’intérieur de ne pas s’éparpiller). Nous insistons sur les notions de dedans et de dehors, sans oublier les notions d’ouverture et de fermeture, expliquant les fonctions des orifices corporels (bouche, nez, oreilles, anus), poursuivant sur le fait que ce qui est expulsé du corps doit l’être et ne met en aucun cas en danger l’intégrité de notre corps. Son intérêt pour cette partie du corps va aller croissant, Le ïla se hasardant à soulever les blouses des différents thérapeutes pour toucher leur ventre et en pincer la peau.

24Dans les semaines qui suivent, elle commence à s’intéresser à son environnement immédiat. Elle promène son doigt sur le contour du chariot-douche où elle est installée, puis suit du doigt les sillons du carrelage mural de la salle de bain. Dans le service, on la voit se saisir d’une chaise, grimper dessus pour atteindre le rebord des fenêtres, les dormants des portes, puis en suivre les pourtours avec ses doigts.

25Dans un article où elle évoque « les représentants géométriques et architecturaux », G. Haag (1988) écrit : « Les bords et les bordures sont les premières représentations à l’extérieur de la construction corporelle. » Le ïla conforte son vécu corporel dans l’architecture et le mobilier, les bords et les bordures étant les premiers représentants de l’enveloppe. L’intégration des notions d’ouverture et de fermeture se concrétise par une action sur les portes et fenêtres que Le ïla se plaît à ouvrir et à fermer, parfois de façon très violente.

26Le ïla s’empare d’un stylo et fait un premier « dessin » à la trente-cinquième séance. Les séances prennent fin lorsque Le ïla d’elle-même écourte le temps d’enveloppement et commence à explorer les objets qui se trouvent dans la salle de bain : elle ouvre les placards, vide l’armoire, etc. Elle commence à communiquer des envies, se mettant par exemple un maillot, prenant l’une d’entre nous par la main pour l’entraîner vers la piscine extérieure.

27Les premiers jours d’été et l’activité plage permettent à Le ïla de confectionner avec une éducatrice ses premiers châteaux de sable. Son intérêt pour cette activité de vidage/remplissage va lui permettre d’intégrer les notions de dedans/ dehors, contenant/contenu.

28Les manifestations autovulnérantes de type psychotiques, les troubles du comportement (avidité orale) ont nettement régressé. La prise de poids est spectaculaire : neuf kilos en huit mois de cure.

29Les congés annuels simultanés des thérapeutes ont été un moment difficile pour Le ïla qui, à maintes reprises, s’est maculée le corps de ses excréments. L’interprétation de G. Haag est celle d’une tentative de Le ïla de recréer par cette enveloppe d’odeur, la relation qui lui a fait défaut durant notre absence. La frustration du contact semble être la source de ce comportement.

30Les modifications les plus spectaculaires sont celles relatives à la communication. Le ïla exprime maintenant certains besoins et peut s’intégrer dans une modalité d’échanges interactive : par le regard, la voix, les gestes. La prise en charge est axée à ce jour sur l’expression sensori-motrice : activité plus ludique qui consiste en des échanges de ballon et des jeux corporels.

Réflexions

31L’intérêt des packs a été, pour Le ïla, de trouver un lieu où expulser des éléments bruts non métabolisés (élément bêta de W. Bion) et de les voir retournés transformés par la capacité de symbolisation des différents thérapeutes (élément alpha). Si nous nous référons, pour interpréter les comportements de sujets adultes déficitaires, à une théorie conçue grâce à l’observation des nourrissons et qui explique l’élaboration de la psyché chez le bébé, c’est que nous nous appuyons sur l’hypothèse d’une plasticité du cerveau qui suppose que les éléments bêta, premiers éléments innés de la pensée, peuvent à tout moment trouver un sens et une direction, si un étayage suffisamment contenant leur est offert.

32La sphère orale liée exclusivement aux sensations (régurgiter/incorporer) a été investie différemment (modulation de sons, exploration d’objets). La bouche sert maintenant à capter et à échanger des informations, et n’est plus exclusivement réservée à une activité autocentrée et stéréotypée. Au sujet des émissions vocaliques, on pourrait évoquer, pour reprendre F. Tustin, le terme de vocalisation du « Moi-sensation ».

33La distinction entre le dedans et le dehors, le Moi et le non-Moi au travers du travail sur les fonctions des différentes parties du corps, permet à Le ïla un échange plus structuré, avec une nette diminution de la crainte du contact corporel dans les interactions.

34L’intérêt pour les creux et plis de son corps sous-tend l’ébauche de la sensation d’une première peau contenante (au sens de G. Haag), de même que sa façon de s’approcher très près du visage de son interlocuteur (réalisant l’effet cyclope décrit par G. Haag).

35Les éléments de souffrance ont pu être représentés grâce aux commentaires des thérapeutes. Les angoisses de morcellement vont pouvoir ainsi être tolérées grâce au bagage interne mis en place par ces interprétations. L’expérience de la pensée se façonne et va prendre dans la psyché la place tenue jusqu’alors par un comportement stéréotypé.

HAMIDA

36Hamida est un jeune adulte, né à terme à la suite d’un accouchement long et difficile (24 h). Hamida a eu des crises convulsives répétées de 1 mois à 1 an. Il a subit de fréquentes hospitalisations à la Timone. À l’âge de 3 ans, il est adressé à l’hôpital San Salvadour avec le diagnostic suivant : encéphalopathie d’origine indéterminée, arriération mentale et comportement autistique.

37Hamida a cinq frères et sœurs. La mère est repartie vivre en Algérie. Le père vit et travaille en France. Ses visites se font rares (une fois par an).

38Dès l’âge de 3 ans, on note des difficultés chez Hamida. Il ne tient pas assis, ne marche pas. Son langage est pauvre. Le contact jusqu’alors possible se fait bref et difficile. Il présente de grandes périodes de repli où il pleure beaucoup. Il passe son temps à jouer avec ses mains. Il acquiert la marche à 5 ans, mais de façon singulière : sa déambulation s’effectue sur la pointe des pieds. Il n’a aucune appétence motrice, est allongé au sol sur le côté le plus souvent. Il est fait mention d’un comportement automutilateur dès l’âge de 10 ans.

39À ce jour, le langage est toujours inexistant ; il n’émet pas de vocalise. Il n’est sollicité pour marcher que pour se rendre de sa chambre au réfectoire. Il vit replié sur lui-même et n’a pratiquement aucun échange social.

40Son automutilation est de type autistique selon G. Haag qui distingue deux types d’automutilation : autistique et psychotique. Contrairement à l’automutilation de type psychotique, l’automutilation autistique n’est pas sous-tendue par un affect agressif. Pour Hamida, elle est de l’ordre d’une autostimulation par un autocognage sur certaines parties du visage dans une quête de vibrations osseuses. Il se martèle le visage de petits coups avec son poing (tempe, menton, nez, front).

41L’accoutumance à la sensation (comme dans la toxicomanie) génère une accentuation et une augmentation de la dose de la stimulation initiale. Les atteintes prennent un rythme plus soutenu au fur et à mesure de leur manifestation. Le nez est particulièrement atteint par ces coups forts et répétés. De nombreuses lésions cutanées marquent le visage de Hamida. L’automutilation survient lors de changement de situation, de stimulation quelconque, mais on peut constater aussi ces comportements quand Hamida est seul et que rien ne semble perturber sa tranquillité. Ce comportement peut s’interpréter comme un moyen d’entretenir une très primitive sensation/sentiment de continuité d’exister, au sens de Bullinger qui, en 1993, introduit la notion de flux sensoriels.

42Dès le premier pack, nous avons constaté que la dénudation générait chez Hamida de fortes trémulations et des cris. G. Haag (1988) dans son article « Réflexions sur quelques fonctions psychotoniques et psychomotrices dans la première année de la vie » dit que les trémulations signent l’absence de la première peau. Elle fait référence à son observation des nourrissons : « La dénudation du bébé, dans les premières semaines de la vie [...] provoque des cris, des agrippements ou une trémulation plus ou moins importante. » « L’application d’une main ou d’un tissu sur son dos peut calmer ces comportements imputables à un effet de dépouillement – écorchage normal de la naissance dû à la perte du contact aqueux et des enveloppes. »

43L’enveloppement froid va susciter de grands cris. Ces émissions vocales vont augurer pour Hamida l’élaboration de vocalises et de lallations. La sphère orale va prendre une grande importance dans les premières séances. Hamida émet spontanément des sons, en relevant la tête, tentant de rencontrer notre regard. G. Haag dit que l’apparition d’exercices vocaliques correspond à la musicalité vocale en train de se brancher sur les autres expériences corporelles et spatiales. Nous le félicitons et l’encourageons en émettant des sons à notre tour : cris de surprise, joie, etc., lui expliquant qu’un son peut exprimer une large gamme de sentiments et de sensations.

44La bouche va devenir le théâtre (au sens de D. Meltzer) de nombreux jeux et expériences : entrer/sortir la langue, la promener sur les dents, ouvrir/fermer la bouche, souffler, etc. Hamida commence à nous reconnaître à la voix lorsqu’on vient le chercher dans son unité, relevant la tête et souriant. « Chez un sujet émergeant d’un état autistique, l’impulsion à jargonner correspond à un minimum de reprise d’une relation de type symbiotique [...] À noter, chez le sujet démutisé [...] ces reprises passagères de jeux vocaliques correspondent à des étapes de meilleure “self” appropriation de leur voix (réincorporation des premiers liens en cours) » (G. Haag, 1995, p. 508-509).

45La deuxième partie de la cure (de la quinzième à la trente-quatrième séance) portera sur le schéma corporel, le dos et l’axe par le biais d’effleurages de la zone corporelle, mais aussi par l’instauration d’un jeu où un contact maximal avec la surface dorsale peut s’opérer. Il s’agit du jeu de la « cloche » : on se met dos à dos, les bras entrelacés et par un « tirer/pousser » par alternance, chacun va de l’avant ou en arrière. Hamida n’a jamais vraiment « initié » le mouvement de balancier, mais a toujours coopéré à ce jeu avec de grands sourires. Le contact du dos passivement accepté au début est maintenant recherché, Hamida prenant notre main pour la mettre sur son dos.

46Après ces séances, on a surpris Hamida se frappant la nuque et le haut du dos (épaules). Cette automutilation, qui est de l’ordre d’une réaction émotionnelle violente, est une réponse à la mobilisation d’une zone corporelle nouvellement investie. Cette réaction une fois verbalisée n’a plus été observée.

47Peu à peu les trémulations vont disparaître, attestant l’instauration d’une « sensation-sentiment » de sécurité. La station debout et la marche se font plus assurées. L’hypotonie initiale de Hamida, témoignant de vécus corporels de chute ou de liquéfaction, se voit remplacée par des tentatives de déplacement de plus en plus efficientes.

48Le parcours évolutif de Hamida durant la cure a été ponctué de moments difficiles, où les conduites automutilatrices ont été plus intenses et plus éprouvantes (hématome à l’œil), et de progrès dans l’intégration de l’image du corps (déambulation spontanée, lallations).

49Dans la « Grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité », G. Haag (1995) remarque qu’on retrouve dans l’évolution des enfants autistes traités un double aspect développemental, avec d’une part la reprise du développement normal et d’autre part le maintien ou le développement d’aspects proprement pathologiques. « Cependant à chaque phase, et malgré les dysharmonies souvent persistantes, on peut noter une étape prévalante d’organisation à l’œuvre, avec d’un côté un retour sur les problématiques antérieures archa ïques dans un travail de réintégration et de réélaboration [recrudescence de l’automutilation chez Hamida], et d’un autre côté, l’émergence de nouvelles capacités [expressions relationnelles et émotionnelles spontanées chez Hamida]. »

FERNAND

50Fernand a 19 ans. Il est issu d’une fratrie de trois enfants qui ont tous été placés. Le diagnostic posé est celui d’une encéphalopathie épileptogène, autisme déficitaire avec déficit intellectuel majeur. Fernand est amblyope.

51Dès l’âge de 3 mois, il est placé en pouponnière. Le développement psychomoteur est normal jusqu’à l’âge de 4 mois. La station assise est acquise à 14 mois et la station debout à 22 mois. Les échecs consécutifs d’un maintien en famille imposeront de nombreuses ruptures et différents placements en pouponnière spécialisée. À 10 ans, Fernand entre en IME. Des crises épileptiques surviennent et, suite à une crise clonique, Fernand utilise moins son hémicorps gauche. Il est également sujet à de nombreuses chutes.

52Lorsque Fernand est placé à San Salvadour, ces troubles du comportement se caractérisent par des émissions de cris qui semblent avoir pour fonction d’appréhender l’espace immédiat par un effet de résonance, et une agitation motrice sous la forme d’une déambulation sans but. Il déchire ses vêtements. Sa vêture consiste uniquement en salopette agrafée au dos afin de limiter les conduites de dénudation.

53Son automutilation revêt différents aspects : des morsures du poignet ; un arrachage de cheveux qui s’opère d’une façon très spécifique (Fernand s’arrache un cheveu, le porte à sa bouche, le coince entre deux dents et tire dessus) ; une recherche de stimulations vibratoires à la zone laringopharingée et au niveau des dents qui se caractérise par des coups avec son poignet (le même qui est mordu).

54Ses échanges relationnels consistent à enlacer le cou du soignant puis, soit à le repousser de manière assez vive (attraction/répulsion), soit à rapprocher sa tête de la tête du soignant puis à taper du haut du front contre la tête de l’autre. Le petit martèlement du début devient rapidement plus fort et plus rapide, à la limite de la douleur. Cette manifestation nous a très vite intrigués quant à sa motivation : est-ce un mouvement affectif ? Ou une recherche de stimulations vibratoires ?

55Pour G. Haag, « taper la tête de l’autre » peut s’interpréter comme le fantasme très cru de rentrer dans la tête de l’autre, de communiquer par l’intérieur de sa tête. C’est un fantasme dans la communication primitive qui est resté dans le langage courant : « Qu’as-tu dans la tête ? » Cet éclairage nous a permis de porter sur la conduite de Fernand le commentaire suivant et ce, dès les premières séances : « Tu as envie de rentrer dans notre tête très fort (on insiste sur très fort pour appuyer sur la notion de volonté, de puissance). Mais on ne peut pas entrer dans la tête des autres en vrai. En revanche, on peut être dans la tête des autres autrement : en pensée. Toi, tu nous parles avec la musique de ta voix, nous on te touche, on pense à toi. Et alors, tu entres dans notre tête, tu es dans nos pensées. »

56Les premières séances ont été éprouvantes pour nous. Fernand a eu du mal à accepter l’enveloppement et nous avons dû le maintenir fortement, couvrant ses cris de nos voix, lui rappelant que la cure de packs est sous-tendue par un contrat qui implique un enveloppement total. Seules des comptines enfantines pouvaient stopper ses hurlements incessants. La « contenance » (c’est-à-dire le sentiment de sécurité) apportée par le chant nous incite à lui raconter son histoire en chantant.

57Lorsque Fernand sort de l’enveloppement, il nous prend à tour de rôle les mains et initie un jeu de taper des mains sur lequel nous greffons aussitôt la comptine « tape, tape, petites mains, tourne, tourne petit moulin ». Fernand ne s’intéresse qu’au mouvement de taper. Ce jeu semble symboliser les notions de « avec/sans », « ensemble/séparé ». Nous acceptons de participer à ce mouvement assez répétitif dans un premier temps sans se hasarder encore à y mettre un commentaire. Lors d’une de nos réunions, nous tentons de faire un lien entre ces comportements et son passé (ruptures, placements) : sa façon de tirer à lui, puis de repousser les personnes ; sa trichotillomanie.

58G. Haag dit que la chevelure est un lieu d’agrippement chevillé à l’instinct. À 6 mois l’enfant joue avec naturellement. Arracher peut signifier l’impression que la communication ne revient pas, qu’il n’y a pas de réponse, que le feed-back ne s’opère pas. Avec le cheveu, Fernand fait un fil qu’il se coince entre les dents. Ce fil symbolise le lien. Cette conduite d’arrachage, ce mouvement de taper des mains et cette façon de tirer et de repousser les autres nous semblent signifier ce sentiment d’avoir été pris et lâché, accompagné puis laissé.

59Fernand agit quelque chose dans son mouvement. Au travers des séances, on va tenter de mettre du sens sur ce qui est exprimé par son corps. Un jeu de balancement (bascule) va nous aider à dégager Fernand de cette construction défensive. Produit sur un mode ludique, ce mouvement de va-et-vient va représenter les allers-retours de la communication. Le fait de pencher l’autre et de le ramener à soi va symboliser les thèmes du lien et de la séparation.

60Nous avons récupéré des épisodes de la vie de Fernand et les lui avons restitués, sous forme de narration. Nous avons tenté de créer des passerelles, de faire des liens à une suite de situations qui ont sans doute été vécues de façon traumatisante pour lui, avec l’idée qu’il intériorise un « Soi-narratif » au sens de Stern, c’est-à-dire qu’il puisse, grâce à notre récit, se raconter lui-même ce qui lui est arrivé. On a voulu, au travers de la cure, inscrire Fernand dans une filiation et une continuité en évoquant son histoire personnelle aussi bien qu’institutionnelle. Le récit de son histoire peut l’aider à construire un sentiment continu d’exister.

61Le cadre thérapeutique avec ses fonctions maternelles (soutien, holding) et paternelles limitantes (loi, règles) a canalisé l’agitation motrice de Fernand. Il accepte les vêtements et sa garde-robe se modifie. Ses échanges relationnels d’un registre plus « modéré » sont mieux vécus par les soignants qui commencent à l’investir différemment.

ALEX

62Alex est un jeune adulte, né à terme, mais avec un retard de croissance intra-utérin majeur. Il a été placé en couveuse durant deux mois. Il est issu d’une fratrie de quatre enfants dont un est atteint d’une arriération mentale profonde.

63Alex est hospitalisé à l’âge de 4 ans et 1 mois. L’examen note un retard staturo-pondéral et psychomoteur. À sa sortie, il est placé en pouponnière, puis deux autres hospitalisations suivront, dont aucun élément ne nous permet de savoir quels en ont été les motifs et les résultats. Le placement à San Salvadour intervient à 4 ans pour fœtopathie due à l’alcoolisme maternel et psychose infantile. Alex est porteur de l’hépatite C. La station assise a été acquise à 3 ans et 6 mois. Il fera ses premiers pas à l’âge de 11 ans, grâce à l’obstination et à la volonté d’une éducatrice. Il n’a pas acquis la propreté. Il s’exprime par des grognements et des gémissements.

64Alex va présenter deux périodes d’anorexie. Ses fugues intempestives incitent encore aujourd’hui l’équipe à l’attacher à une chaise. La famille n’est pas présente, la dernière visite de la maman date de plusieurs années.

65L’expression des troubles du comportement d’Alex se présente ainsi : des signes de grattage qui apparaissent dès l’âge de 5 ans, les lésions se localisant essentiellement sur le thorax (cette compulsion de répétition pourrait être comparée à une conduite addictive) ; une recherche de sensations nécessaires pour vivre, comme si cet arrachage de peau était une façon de s’assurer par une perception, le sentiment d’être, d’exister ; il s’arrache les oreilles, se cogne la tête contre les murs et les meubles le plus souvent en réponse à une frustration.

66Alex adapte vis-à-vis de son dos une attitude de protection : il tient ses coudes repliés vers l’arrière ; il se crée une contention physique par le biais de la superposition de sweat-shirts qui pourrait traduire une recherche de protection, par l’élaboration d’une « cuirasse ».

67Lorsqu’il est contre un appui, il protège sa surface dorsale en tenant ses coudes repliés. Il entrelace ensuite ses mains dans les barreaux de la chaise, entre les ridelles du lit, autour du jet de douche dans la baignoire. Lorsqu’il se déplace, il présente une torsion du buste qui suppose la mise en place d’une conduite d’évitement. Lorsqu’il marche, un côté de son corps reste ballant. C’est ce côté du corps qu’il appuie sur nous lorsque nous l’accompagnons. C’est la main droite qu’il accepte de nous donner pour se promener, l’autre étant recouverte par l’amalgame de vêtements, repliée, occupée à lui soutenir le dos.

68Toutes ces postures semblent indiquer que la musculature participe à ses défenses psychiques. G. Haag a déterminé trois fonctions au corps : une fonction maternelle et une fonction d’individuation, représentées par les deux hémicorps ; une fonction séparante représentée par l’axe. Le côté dominant est associé aux fonctions maternelles de soutien. L’hémicorps ballant d’Alex (côté gauche) a besoin d’un appui pour se rassurer. Alex semble représenter symboliquement par cette posture une faille dans son vécu corporel. Ses mains sont utilisées comme une protection qui traduit l’absence d’un maintien de cette zone corporelle.

69Dès la première séance, nous avons débuté un travail sur le schéma corporel qui consiste, tout en faisant des pressions sur chaque partie du corps, à les nommer, à expliquer à quelles autres parties elles sont rattachées, quelles sont leurs fonctions. On a tenté de relier entre elles des parties corporelles éparses. Au début, Alex a manifesté des résistances à être touché. Il enlève la main des thérapeutes ou grogne. Progressivement il accepte le contact, réagissant par des mimiques nouvelles, des rires, des lallations.

70Nous avons ensuite commencé à travailler les hémicorps gauche et droite. Les deux thérapeutes se mettent ensemble sur le côté gauche et posent les mains sur tout le côté, assurant des pressions tout le long du corps. Puis inversement. Très tendu lors des premières séances, Alex s’est vite laissé aller sur le ventre et accepte qu’on lui touche le dos, nos mains vont remplacer les siennes sur cette zone corporelle et assumer une fonction de soutien physique.

71Toujours en référence aux commentaires de G. Haag, nous avons tenté de donner à Alex une interprétation de ses attitudes posturales : « Tu as besoin d’un main-maman pour te soutenir le dos. Tu peux me faire confiance, je peux te tenir les épaules, le dos... » Alex fait un rictus avec sa bouche, et ferme fort ses yeux. Puis il relève la tête et sourit. Au début de la séance suivante, la même thérapeute lui dit : « On va faire comme mardi, je vais jouer à faire ta maman-dos. » Alex se rapproche d’elle et l’enlace en souriant. Lors des séances suivantes, nous constatons qu’Alex retire les draps et laisse son corps nu à l’air, alors qu’en dehors des séances, il est en quête constante de pulls pour se couvrir le plus possible.

72Le registre infra-verbal s’élargit lors des séances : l’expression vocale se module selon des registres et des tonalités différentes (émissions de syllabes ma/ma, grognements, etc.) ; la gamme des expressions faciales s’agrandit (mimiques, clignements des yeux) ; les réactions corporelles se diversifient (raideur musculaire, accélération de la respiration, trémulations). Toutes ces modifications traduisent l’incidence de la technique du pack sur la structuration de l’image du corps et l’émergence d’un premier sentiment d’enveloppe-peau.

73Dans l’évolution d’Alex nous notons, comme pour Hamida, un double aspect développemental : le maintien d’aspects proprement pathologiques (le grattage) ; l’émergence de nouvelles capacités : échanges plus harmonieux, instauration d’une relation de confiance avec une des thérapeutes qu’il reconnaît, dont il attend la venue en déambulant dans le couloir et avec laquelle il poursuit un travail d’éveil sensori-moteur.

74La cure d’Alex a été plus courte (vingt séances). La ritualisation du temps, ponctuée par les séances, lui a permis de s’inscrire dans une temporalité. L’arrêt de la cure a modifié le déroulement de ce cycle et Alex a eu une forte crise d’auto-agressivité à l’arrêt des packs. Nous n’avons pas poursuivi la cure, peu encline à proposer des enveloppements dans des conditions d’urgence ; nous avons mis en place des séances de balnéothérapie.

Réflexions

75Le concept winnicottien de holding – maintien en français – nous paraît tout particulièrement spécifier la cure d’Alex. La façon dont le bébé aura été tenu, soutenu par la mère, va directement influencer l’intériorisation qu’il réalise de son état d’unité et de solidité.

76Le terme de holding dénote que « l’on porte physiquement le sujet », mais il désigne aussi tout ce que l’environnement lui fournit. Il se rapproche du concept de maintenance du psychisme de D. Anzieu. Ce double étayage nous paraît être tout particulièrement à l’œuvre dans la technique des packs.

77La fonction de holding, couplée à la capacité contenante des intervenants (capacité de rêverie qui sous-entend pour le patient d’être pensé par un autre), a permis la création d’une aire intermédiaire d’expériences (espace transitionnel de Winnicott). Le cadre thérapeutique est devenu un réceptacle où les éléments de souffrance d’Alex (expulsés sous formes de cris très perçants et de pleurs) ont pu trouver un sens, une direction.

PATRICIA

78Patricia est une jeune adulte entrée à l’hôpital San Salvadour à l’âge de 6 ans.

79À 5 mois, Patricia est vaccinée contre la variole, ce qui provoqua de fortes fièvres pendant trois semaines. Son comportement s’est alors modifié aux dires de ses parents. Patricia ne sourit plus, reste prostrée, ne tend pas les bras.

80À l’âge de 3 ans, le constat de son mutisme (elle n’a dit maman que deux fois) et son repli incitent les médecins à poser un diagnostic de surdité. Après deux années d’examens et d’explorations sensorielles, force est de constater que le diagnostic est erroné. Patricia est placée à San Salvadour l’année suivante.

81À 7 ans, on note le début de troubles du comportement alimentaire (anorexie) et des troubles du sommeil qui co ïncident avec la séparation d’avec la famille. À 9 ans, apparaissent les premiers troubles d’auto- et d’hétéro-agressivité (morsures). À 17 ans, le diagnostic posé est celui de psychose autistique. D’autres troubles du comportement surgissent : boulimie, balancement, rires et pleurs inadaptés au contexte.

82Patricia est une jeune femme qui recherche le contact avec certains soignants. Ce contact bref est suivi d’un mouvement de rejet. Elle passe son temps à déambuler dans le couloir, sans but, le regard dans le vide. Elle peut aussi passer de longs moments assise, repliée sur elle-même dans un coin dela pièce. Dans des moments de stress, d’angoisse, Patricia se mord la main ou mord la personne près d’elle. Elle n’a pas acquis la propreté.

83La famille, très présente, va donner son accord pour la cure et fournir spontanément des objets personnels de Patricia qui ont accompagné son enfance : deux boîtes à musiques, du lait corporel, une vingtaine de photographies de Patricia à différentes époques.

84Les troubles du comportement de Patricia revêtent deux modalités d’expression :

  • une hyper-agitation qui se caractérise par une déambulation sans but. Esther Bick (1968) a insisté sur le rôle de la motricité dans la construction de la seconde peau. Cette déambulation incessante pourrait venir prendre la place des émotions dans une forme de décharge motrice qui évacue tout le contenu psychique de l’émotion. Patricia paraît construire cette seconde peau (ou carapace selon F. Tustin) sur la modalité d’une hyper-agitation motrice afin d’échapper « au tourbillon infernal d’une vie pulsionnelle immaîtrisable » pour reprendre les termes de D. Houzel (1985) ;
  • une auto- et hétéro-agressivité sous forme de morsures. L’automutilation semble être une « protection » face à une trop grande tension. « Bombardée » d’émotions, Patricia déplace sur son corps des affects ingérables pour sa psyché. Quant à l’hétéro-agressivité, lorsque l’affect violent est infligé à autrui, elle pourrait être une façon pour Patricia de projeter sur l’extérieur les tensions internes difficilement supportables. L’autre devient alors un réceptacle, un « contenant ». Comme le bébé expulse ses « terreurs sans nom » au travers de ses cris et de sa motricité, Patricia extériorise son malaise au travers de cette pulsion à mordre.

85Une éducatrice (membre du groupe pack) propose depuis quatre ans, à raison de deux fois par semaine, une prise en charge éducative à Patricia sous la forme d’un parcours sportif et d’un bain thérapeutique. Le parcours sportif permet à la déambulation de Patricia de trouver un sens : négociations d’obstacles, travail sur l’équilibre. Néanmoins, Patricia ne parvient pas à s’inscrire dans le groupe : elle n’a aucune interaction avec ses pairs, ne coopère guère aux consignes, ne partage pas les moments de convivialité (pique-nique) préférant s’installer à l’écart. Aucun échange n’a pu s’instaurer avec l’éducatrice. Ses relations restent de l’ordre d’une attraction-répulsion. Son regard ne se pose pas, son intérêt n’est suscité que par la nourriture.

86Les bains thérapeutiques sont brefs : elle ne se détend pas. Elle résiste à toutes les tentatives de jeux, qu’ils soient médiatisés par un objet ou par l’eau. Elle sort très vite de la baignoire si l’éducatrice insiste sur un contact corporel. Au bout de quatre ans de prise en charge régulière, il n’y a aucune modification notable de son comportement. Le pack s’est imposé à l’équipe comme seul moyen d’ébaucher un échange avec Patricia et sortir d’une impasse éducative.

87Les premières séances vont s’organiser autour de l’enveloppe corporelle essentiellement : effleurages puis pressions sur chaque partie du corps, nomination de leur fonction. Patricia ne résiste pas à l’enveloppement dans les draps, se détend très vite. Son attention toujours labile « se fixe » grâce à la contention physique imposée. Son regard devient captatif et plonge très vite dans celui des différents thérapeutes.

88Tout au long des séances, Patricia s’exprime essentiellement par des froncements de sourcils, des rictus, des bruits de succion très marqués. Très souvent elle cherche à se blottir dans les bras des thérapeutes comme à la recherche d’un soutien supplémentaire. À partir de la vingtième séance, nous décidons d’utiliser le matériel apporté par ses parents. On va utiliser les deux boîtes à musique dans un premier temps, lui racontant à quel âge elle les a eues et quels épisodes de son enfance elles ont marqués (ses 2 ans, son arrivée à l’hôpital, etc.) Un éducateur qui s’occupait d’elle lorsqu’elle avait 8 ans nous décrit son comportement de l’époque : « Elle passait son temps assise dans un coin de la salle en collant cette boîte à musique sur son oreille. » Les premières fois où nous avons présenté une boîte à musique à Patricia, nous avons constaté les réactions corporelles suivantes : inquiétude sur le visage ; raidissement du corps ; froncement des sourcils ; larmoiement des yeux. Par la suite, Patricia s’est emparée de la boîte et l’a portée à son oreille. À la quarante-sixième séance, elle tente d’en actionner le mécanisme.

89Au bout de quatre mois de cure et suite à un entretien avec sa mère, un travail avec les photographies commence. La première réaction de Patricia à la vue de ses photographies a été de les scruter dans les moindres détails, en fronçant les sourcils, et ébauchant un rond, sorte de « o » avec sa bouche. Nous lui décrivons les situations, restituant à chaque personne présente sur les photographies leur fonction dans l’histoire familiale : « C’est ton image Patricia sur cette photo, c’est toi petit bébé, tu es dans les bras de ton papa, dans ta maison à A. Tu as x ans. » La notion de temporalité étant très importante pour assurer au sujet un sentiment continu d’exister, toutes les dates avaient été préalablement inscrites au dos des photos par les parents.

90Nous avons, comme pour Fernand, récupéré des épisodes difficiles de sa vie et les lui avons restitués. « Quand maman et papa ont dû te placer, tu n’as pas dû bien comprendre, tu as été triste, tu ne voulais plus manger. » L’évocation de certaines situations traumatisantes (le placement, les divers examens subis) ont généré chez Patricia des balancements le plus souvent, mais aussi des périodes d’automutilation intenses.

91On peut supposer que cette automutilation est une forme de « protection » face à des résurgences émotionnelles très vives. À chaque fois des mots ont été posés sur ces manifestations : « C’est trop difficile pour toi, tu ne peux pas faire face à cette émotion, mais tu pourrais faire autrement ; nous, quand on vit des choses trop fortes, on crie, on pleure... Tu peux crier si tu veux... » Patricia, par la suite, a elle-même pu donner à ses affects une dimension moins « destructrice » : elle attrape son vêtement et le mord.

92Au bout de huit mois de cure, nous décidons de proposer à Patricia un bain thérapeutique en alternance avec une séance d’enveloppement humide. Son comportement dans la baignoire n’est plus le même. Patricia s’allonge, se détend. Le bain devient très vite un espace ludique. L’éducatrice lui propose de travailler avec une poupée sur laquelle on va reproduire les gestes de la toilette. La cure s’arrête au terme de cinquante-huit séances.

93Patricia a repris ses activités éducatives : bains, parcours sportif. Elle y participe aujourd’hui très activement : elle coopère à l’activité, anticipe certaines situations. Au niveau des échanges, elle est en quête de relation, reconnaît les thérapeutes et vient à leur rencontre. L’hétéro-agressivité a disparu, elle parvient à gérer ses angoisses, en mordant son tee-shirt ou en serrant fortement ses mains. Parfois elle vient solliciter l’éducatrice du service, en la prenant par la main, pour l’emmener quelque part ou en l’enlaçant dans une simple quête affective.

Réflexions

94Les récentes découvertes sur le développement du nourrisson nous apprennent que le caractère cyclique, rythmique des comportements de la mère et du bébé dans l’interaction, leur structuration temporelle ont un rôle essentiel dans l’émergence des premières pensées du bébé, de ses anticipations et de sa perception d’un environnement stable et fiable.

95D. Marcelli (1992) émet l’hypothèse que deux contextes interactifs (les microrythmes et les macrorythmes) participent à l’émergence et au développement des capacités de mémorisation et stimulent les capacités d’attention et de tolérance à la frustration. « Les macrorythmes qui portent sur des situations de soins (alimentation, change, bain, sommeil) organisent la vie quotidienne du bébé. Les microrythmes se réfèrent aux situations telles les interactions ludiques. Leur rythme va conditionner la capacité d’investir le temps d’attente, et par conséquent la capacité de penser. »

96La prévisibilité des séances (même heure, même cadre) ancre temporellement les expériences sensorielles des sujets et développe parallèlement les capacités d’anticipation. Cette capacité se développe notamment chez Patricia qui se déshabille d’elle-même dès son entrée dans la salle de bain.

97La stabilité du cadre, l’harmonisation des réponses des thérapeutes au comportement de Patricia font office de pare-excitation dans les séances. Fonction dont on retrouve les effets dans la stabilité de Patricia qui n’a plus besoin d’utiliser sa motricité pour échapper à ses émotions.

98La cure, situation ritualisée dont le déroulement est dominé par la répétition, offre la possibilité de mettre en place des macrorythmes et des microrythmes et peut favoriser l’émergence de protopensées, concept développé par D. Marcelli : « Les protopensées [...] seraient des pensées sur une succession, une pensée du type “après ça, il y aura autre chose” » (D. Marcelli cité par M. Lamour et M. Barraco, 1995).

CONCLUSION

99La confrontation avec la personne sévèrement handicapée offre la vision d’une entité corporelle morcelée, éclatée, associée à des troubles psychiques qui s’expriment par des comportements parfois insoutenables comme l’automutilation.

100Par son incidence sur la structuration de l’image du corps, la technique du pack permet l’instauration d’un premier sentiment de récupération de la première peau, comme on peut le constater au travers des lallations, expressions faciales et manifestations corporelles qui émergent. Le recours à une thérapie à médiation corporelle paraît incontournable pour favoriser l’émergence d’un sentiment d’identité chez des personnes si démunies.

101W. R. Bion (1962) dans Aux sources de l’expérience évoque que le passage clef du corps au psychisme se fait par la mère grâce au mécanisme de « la capacité de rêverie ». Cette fonction alpha consiste à contenir et à traiter les angoisses du sujet face à ses attaques internes. Cette fonction est représentée dans le pack par la capacité des thérapeutes à aider le patient à intégrer puis à gérer ses expériences émotionnelles en traduisant des éprouvés qui sont « émis » comportementalement (automutilation, hyper-agitation motrice, mécanismes qui ont un but de protection face à des excitations non intégrables).

102Cette possibilité d’harmoniser ces réponses au comportement du sujet fait référence au concept « d’accordage affectif » décrit par D. N. Stern. « L’accordage affectif » ou harmonisation des affects se situe dans le registre de l’inter-subjectivité. Le partenaire reproduit la qualité des affects de l’autre sur un canal sensori-moteur différent : par exemple, à des gestes du bébé correspondent des vocalises maternelles. Dans le cadre des enveloppements humides thérapeutiques, à une mimique, un geste du sujet, se juxtapose une traduction par le langage. « Ce sentiment d’une intimité profonde fait que le sujet (le bébé) se sent compris et accompagné dans ses émotions » (D. N. Stern, 1985).

103Ainsi, les éprouvés trouvent un sens et peuvent devenir des perceptions, des représentations. Libéré de ses affects négatifs, le Moi peut assurer la fonction de contenance qui lui fait défaut. La pensée peut se construire, s’organiser.

104La technique des packs permet de panser les pensées du patient. Panser au sens du soin, c’est mettre un baume sur une blessure pour en favoriser la cicatrisation. Dans le cadre du pack, panser les pensées, c’est, sur des brèches psychiques, mettre des mots qui, comme un onguent, vont colmater les plaies de la psyché.

105Notre expérience clinique soulève une question fondamentale : Est-ce qu’une construction théorique basée sur le développement de l’enfant peut servir de référence à des sujets adultes dont le traumatisme psychique et somatique est si sévère ? C’est un fait, il y a sans doute une impossibilité à généraliser. Mais nous avons souhaité démontrer que la technique, et l’action que nous avons construite, ont porté leurs fruits avec les sujets présentés.

106Automne 2000

BIBLIOGRAPHIE

RÉFÉRENCES

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NOTES

[ 1]Assistant socio-éducatif, Centre d’activités thérapeutiques et d’éveil (CATE), Hôpital San Salvadour (AP-HP), Hyères. Responsable : Brigitte Savelli.Retour

[ 2]Valérie Dufour-Cochelin (ASE), Marie-Paule Paoli-Lasseigne (ASE), Marie-Thérèse Poppe (ASE), Anne-Marie Proust (ASE), Christine Bollman-Plat (CI).Retour

RÉSUMÉ

Le pack est un traitement psychocorporel à base d’enveloppements humides, chauds ou froids, dans un environnement précis où le patient est soutenu psychologiquement. Les indications concernent les troubles psychotiques graves, particulièrement s’il existe une perturbation du schéma corporel. Le travail décrit est effectué auprès de jeunes adultes sévèrement handicapés qui n’ont de possibilités d’expression qu’au travers de décharges motrices autovulnérantes. La particularité de cette expérience clinique est d’utiliser une construction théorique basée sur le développement de l’enfant pour servir de référence à des sujets adultes dont le traumatisme psychique et somatique est très sévère.

Mots Cles

Automutilation, Enveloppe, Holding, Corps, Cure


THE TREATMENT OF AN AUTISTIC POSITION USING THE METHOD OF HUMID THERAPEUTIC WRAPPINGS (OR PACKS)
The pack is a psycho-corporal treatment based on humid, warm or cold wrappings used in a very specific environment where the patient is given psychological support. The indications for this treatment are serious psychotic troubles, particularly in the case where there is a disturbance of the body image. The work described here was carried out with severely handicapped young adults who have no other possibility of expressing themselves than by self-vulnerablizing motor discharges. The particularity of this clinical experience is in its use of a theoretical construction based on child development to serve as a reference for adult subjects whose psychic and somatic traumatism is very severe.

 

EL TRATAMIENTO DE UNA POSICIÓN AUTISTA CON EL MÉTODO DE ENVOLTURAS HÚMEDAS TERAPÉUTICAS (PACKS)
El pack es un tratamiento psico-corporal a base de envolturas húmedas calientes o frias en un entorno dado, en el que el paciente recibe apoyo psicológico. Está n indicados los trastornos psicóticos graves, sobre todo si existen perturbaciones del esquema corporal. El trabajo se dirige a jóvenes adultos con minusvalías severas que solo pueden expresarse mediante descargas motoras auto-agresivas. La particularidad de esta experiencia clínica consiste en utilizar una construcción teórica basada en el desarrollo del niño como referencia para sujetos adultos con traumatismos psíquicos y somá ticos severos.

PLAN DE L'ARTICLE

 

POUR CITER CET ARTICLE

Valérie Dufour-Cochelin « Le traitement d'une position autistique par la méthode des enveloppements humides thérapeutiques (les packs) », La psychiatrie de l'enfant 2/2001 (Vol. 44), p. 531-556. 
URL : www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2001-2-page-531.htm. 
DOI : 10.3917/psye.442.0531.



26/05/2013
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