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Resistance et conscience de Soi Le packing dans le traitement des troubles autistiques

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Resistance et conscience de Soi Le packing dans le traitement des troubles autistiques

 

 

Resistance et conscience de Soi Le packing dans le traitement des troubles autistiques Quand l’enfant arrive, entre lui et le monde tout commence par un train de contrariétés émaillé d’accords brefs qu’on s’emploie à prolonger et à multiplier. L’inadéquation au monde est le premier cadeau de naissance. L’instant de la satisfaction réclamée à cor et à cri par le nouveau-né est toujours différé, et cette satisfaction est toujours imparfaite. Je propose de considérer les caractéristiques de ce moment originaire en accordant une attention particulière à la façon dont les manifestations motrices peuvent déterminer la constitution du moi et, de manière symétrique, peuvent prendre leur part au maintien d’une disposition autistique de l’être. Partant de ces considérations nous pourrons revenir sur l’interprétation de la pratique du packing envisagée comme une intervention portant sur le lien décisif entre le mouvement et l’établissement du moi. Après avoir rappelé la manière dont Freud envisagea d’abord le rapport entre la motricité et la constitution du moi dans « L’esquisse pour une psychologie scientifique » [3] j’exposerai de façon succincte la théorie de la constitution du sujet selon Maine de Biran, (philosophe et psychologue du XVIII° siècle)[6] ainsi que le point de vue récent d’une psychologue cognitiviste Elisabeth Pacherie[8]. Les interprétations de ces auteurs divergent… Mais leurs divergences se nouent entre elles et sur un point précis : le rôle de la contrainte de la motricité volontaire dans la constitution du moi et de la connaissance du monde extérieur. Prenant ce point commun comme objet de réflexion nous préciserons notre conception concernant la motricité, l’organisation autistique et la possibilité de mobiliser cette organisation en intervenant par des enveloppements corporels, les packs, pour créer le pré-texte, l’inscription d’une conscience de soi, chez un enfant dont l’être se dissipe dans l’évitement de l’existence . FREUD 1 et l’esquisse Selon la conception de Freud dans « Esquisse pour une psychologie scientifique » [3] comment le Moi vient-il au monde ? 1 C’est en 1895 que Freud va produire le texte de « L’esquisse pour une psychologie scientifique ». Il est adressé à son ami Fliess et restera ainsi à l’état de brouillon, sans être jamais publié du vivant de Freud. Celui-ci espère encore établir une correspondance relativement stricte entre la psychologie et la neurologie. Bien que non publié, ce texte révèle un aspect caractéristique du projet freudien. On en retrouve l’inspiration essentielle, concernant les rapports entre la motricité et la pensée dans son œuvre majeure, éditée cinq ans plus tard, Die Traumdeutung (L’interprétation des rêves). 2 Il y vient par la mémoire d’expériences qui vont se constituer en réseau de traces mnésiques, équivalents provisoires de représentations, lesquelles vont s’opposer au fonctionnement réflexe, caractéristique du stade initial. Selon ce schéma : chaque besoin, chaque état de souffrance va déclencher des manifestations motrices, cris et gesticulations, ayant la vertu première de faire chuter l’excitation que le déplaisir ne manque pas d’apporter. Ceci pour restaurer une situation énergétique dépourvue de tension. Toutefois, ces manifestations vont échouer à faire cesser ce que Freud appelle « l’état d’urgence », et c‘est seulement lorsqu’une personne « bien au courant de l’état de l’enfant » va s’en préoccuper 2 en apportant une réponse satisfaisante, une « action spécifique », que « l’état d’urgence » prendra fin dans la satisfaction. Cette solution va laisser des traces et la multiplication des expériences dites « de satisfaction », formera bientôt un réseau de « neurones » (2) comptables de ces expériences. Freud suppose que ces dits « neurones », affectés, les uns par l’urgence du besoin, les autres par les modalités de la satisfaction vont se lier entre eux et que leur combinaison va constituer un pôle attractif, une alternative à la décharge motrice réflexe. Ainsi, lorsqu’une forme de déplaisir va se manifester ce dispositif s’opposera à la « voie de décharge primaire » en éveillant des représentations de la satisfaction passée permettant de différer la réaction réflexe. Ce réseau de « neurones » -- alternative à l’exercice d’une motricité reflexe sans bénéfice -- est considéré par Freud comme l’ébauche du moi. Mais, par quel mystère ce moi devient-il capable de se saisir, de s’éprouver lui-même comme tel, comme une identité consciente d’elle même au fil des épreuves rencontrées ? Elles pourraient, ces épreuves, se succéder dans un temps qui n’intéresse pas, qui ne constitue pas, le sujet… Les animaux éprouvent régulièrement la succession des satisfactions attendues et obtenues, sans y trouver autre chose que l’extension du domaine de leur expérience et le perfectionnement des conduites utiles à leur survie ; la répétition n’entraîne pas la constitution d’une identité. Toutefois, l’homme étant un être parlant, la permanence de son être, en même temps qu’éprouvée peut lui être signifiée au fil de la coïncidence spéculaire qui mettra fin à ce que De Waelhens (1973) nommait la coenesthésie grouillante du nourrisson, pour faire place à la statue d’un moi que le sujet va s’éprouver à animer, dans la jubilation… Il s’agit bien sûr du fameux stade du miroir tel que Lacan a pu le décrire. Mais ce cheminement progressif escamote régulièrement un élément nécessaire. Il est en effet nécessaire, selon nous, qu’une connaissance première de soi préexiste à cette rencontre. Une ipséité essentielle, sans laquelle ni le langage ni la représentation spéculaire ne pourraient produire leur 2) Il faut préciser que le terme « neurone » est employé ici en un sens très particulier qui correspond plutôt à un ensemble de cellules qui constitue d’emblée l’équivalent d’une « localisation », ou encore d’un « centre nerveux ». Le « neurone » de l’Esquisse est plutôt une métaphore au service d’une conception topologique et énergétique du fonctionnement de l’appareil nerveux. 3 effet, faute de rencontrer ce terme. Le langage serait alors appris et répété, utilisé à la manière d’un code ; l’image du corps serait perçue, sans conséquence… Certes, dans le développement normal de l’enfant l’existence de cette ipséité première peut bien passer inaperçue, toutefois, l’observation clinique des enfants autistes met en évidence les conséquences de son absence et montre, par là même, sa nécessité. En effet, comme nous l’avons souvent constaté, un enfant organisé sur un mode autistique peut bien rencontrer son image ; il peut même se distraire en animant le pantin du miroir ; cette forme toutefois, cette image de lui n’est pas sienne, elle ne l’intéresse pas, elle ne le regarde pas. L’être qui ne s’est jamais trouvé ne peut se re-trouver. Il se dissipe dans l’insignifiance. C’est pourquoi, en nous écartant du schéma freudien, puis lacanien, nous avons jugé intéressant de nous référer à Maine de Biran qui propose de situer la naissance du moi et de la conscience, comme un « fait primitif » constitué dans l’expérience du mouvement et de la résistance, sans médiation. MAINE DE BIRAN3 Pour Maine de Biran, philosophe et psychologue, la possibilité de se connaître soimême comme existant se donne sur un plan d’immanence absolue. Dans son « Essai sur les fondements de la psychologie » [6] Biran détaille les différents moments de l’expérience de la motricité qui amèneraient le moi à l’évidence de son être. Il reconnaît d’abord une motricité réflexe, réactive aux besoins ressentis par l’enfant. Nous sommes alors dans un schéma très proche de celui de l’Esquisse. Dans un deuxième temps, lorsque cette modalité réflexe aura provoqué de façon régulière un apaisement des sensations désagréables, « la brutalité des affections va s’émousser » l’enfant va réitérer cette même modalité motrice en prolongeant une habitude kinesthésique sans autre fin que sa perpétuation. « Mais, hors de l’empire exclusif des affections, des besoins ou appétits de l’instinct, l’enfant crie et s’agite encore en vertu des déterminations ou des habitudes contractées par le centre moteur, ou par les organes de locomotion et de la voix » [6] p.136 Dans ces mouvements, il faut, dit Biran, qu’il y ait déjà eu, en eux, avant que se développe une quelconque volonté, le sentiment éprouvé de quelque pouvoir. On ne peut vouloir ce qui ne serait pas d’abord perçu comme une possibilité, comme un pouvoir. C’est depuis l’expérience immédiate de ce pouvoir, pouvoir de bouleverser quelque chose de l’environnement immédiat, que viendra le mouvement volontaire. Et plus précisément l’expérience de l’effort éprouvé à même ce qui résiste, ce que Biran appelle le « continu résistant ». 3 Maine de Biran (1766-1824), est un philosophe qui a mené une vie politique très active avant de devenir sous LouisPhilippe, sous-préfet de Bergerac… Il n’a cependant jamais cessé de méditer et d’écrire. Phénoménologue avant la lettre, il est l’auteur d’une œuvre considérable, dont l’ Essai sur les fondements de la psychologie (1813) où se trouve exposée la thèse d’un sujet qui se fonde en s’identifiant à l’action. 4 « Tel est l’ordre ou la série des progrès, tel est le passage de l’instinct à la spontanéité, et de celle-ci à la volonté qui constitue la personne, le moi. » [6] p137. Maine de Biran désigne donc comme « Fait primitif » cette expérience de « l’effort voulu » ; c'est à même cette expérience que le moi se trouve immédiatement fondé. Ce moment est essentiellement actif et il s’oppose à l’idée, Kantienne selon Biran, d’un sujet dépourvu d’un sentiment premier de l’existence. Sujet qui serait passivement offert aux sensations, comme un support qui « s’instruirait » des constatations sensibles, secondairement mises en forme par les catégories de l’entendement. Or, selon Biran, l’être se trouve et s’éprouve activement. Et contre Descartes ce n’est pas le « Je pense ; je suis » mais plutôt le « Je peux ; je suis » qui fonde le moi conscient. Cette thèse se soutient, entre autres arguments, de celui-ci : si le sujet n’avait pas un accès à la connaissance immédiate de son être par le mouvement, comment les effets secondaires de ces mouvements, comment leurs conséquences sensorielles ou kinesthésiques, pourraient-elles se trouver rapportées à lui ? Comme le dit Biran, on pourrait alors tout aussi bien s’attribuer les actions réalisées par quelqu’un d’autre qui se serait glissé en nous et, inversement, attribuer nos actions à d’autres que nous-mêmes… « Je pourrais douter… si, lorsque je sens ou aperçois mon existence individuelle, ce n’est pas un autre être qui existe à ma place » [6] p186, cité par M. Henry [5] p53. Notons ici que l’enfant autiste, animant l’image spéculaire sans du tout s’en émouvoir, réalise cette possibilité. Il arrive que les mouvements de l’autre du miroir ne se rapportent pas à l’enfant qui les observe sans en être affecté. Michel Henry, qui a consacré sa thèse à l’œuvre de Maine de Biran, insiste : « l’interprétation qui ferait du Moi le résultat de la rencontre, dans l’effort, avec le non-moi est irrecevable ». Le lecteur de Biran doit donc faire son deuil de cette explication tellement commode. Elle n’est pas ontologiquement satisfaisante. C’est que l’éclosion du moi dans l’expérience de « l’effort voulu » s’écarte de façon décisive d’un empirisme qui emprunterait au monde la connaissance de soi. C’est une position très nouvelle, qui s’oppose à une conception plus intuitive, comme celle de W.Dilthey, par exemple, pour qui la constitution du moi se déduit de la volonté contrariée par le monde extérieur… [2] (p105-110) Mais pour Biran, le moi ne se déduit pas. Il ne résulte pas d’une connaissance ; au contraire, c’est à partir du moi – d’un moi immédiatement trouvé, à même le corps, que vont se dégager, s’extraire, les catégories de la pensée (Causalité, Substance, Identité, etc …) capables de connaitre le monde. « Otez le Moi, il n’y a plus d’unité nulle part ; c’est une multitude confuse qui n’a plus de centre unique où elle aille se représenter et se coordonner… » [6] p175 Prenons l’exemple d’une catégorie : la causalité. Elle sera déduite de la constatation des effets sensori-moteurs causés par le mouvement volontaire, c'est-à-dire par le « moi », qui va prendre la place d’une cause responsable d’un effet. Une autre catégorie, l’identité, elle, va se trouver dans la constance du mouvement rencontrant invariablement, identiquement, une résistance. 5 Quant à la catégorie de substance, elle sera fondée dans et par la manifestation du premier continu résistant rencontré par le mouvement, à savoir : la simple inertie du corps… C’est là une originalité décisive : l’inertie du corps est la première substance, la « matière première » du monde, trouvée à même le corps en effort. Comme on peut le pressentir, en accordant au mouvement et à la résistance un rôle décisif dans la genèse du moi et du monde, la conception biranienne peut s’accorder à l’expérience que nous menons en pratiquant des enveloppements thérapeutiques avec des enfants dont le moi souffre d’incertitude ou d’inconsistance… L’APPROCHE COGNITIVE Mais avant d’en venir à l’exposition de la pratique des packs, nous consacrerons un paragraphe au rapprochement inattendu entre cette conception du XVIII° siècle et l’approche contemporaine issue de la psychologie cognitive. Pour ce faire nous allons nous référer à un texte d’Elisabeth Pacherie [8] qui met en relation l’image motrice et les difficultés tant exécutives que compréhensives rencontrées chez les enfants porteurs d’autisme. La capacité, pour un sujet donné, d’agir consciemment, est ici envisagée selon trois moments. Tout d’abord l’intention préalable, puis l’intention en action, et entre ces deux temps une liaison indispensable : l’image motrice. Si l’intention préalable est un plan d’action conscient, ajusté à un but, et si l’intention en action se déroule comme l’enchaînement agi de la réalisation d’un projet, sans connaissance consciente de chacun des instants de ce mouvement, l’image motrice, elle, aurait la particularité d’être à la fois consciente et non conceptuelle. Nous pourrions l’interpréter comme l’équivalent d’un « se sentir en capacité d’agir » ; c’est la représentation motrice d’un « pouvoir faire » incarnant la liaison entre l’intention de réaliser telle action et le mouvement même de sa réalisation. Or, Elisabeth Pacherie écrit ceci : « … que la représentation motrice devienne consciente lorsque l’exécution est retardée ou bloquée présente un avantage important. Dans le cas normal (lorsque l’action réussit), l’intention motrice (la cause) est concomitante avec le mouvement (son effet). En revanche, quand l’exécution est bloquée ou retardée, l’intention en action est temporellement séparée de son effet. Ainsi les images motrices nous donneraient accès à l’intention en action dans sa forme la plus pure. » [8] p221. C’est dire que le blocage entre l’intention et la réalisation d’une action favorise une représentation motrice de l’action qui devient plus consciente. Si cette conscience de l’agir (les images motrices) venait à manquer, le sujet ne pourrait lui-même s’attribuer la possibilité d’aucune action, faute de pouvoir se reconnaître comme un agent possible. Ne pouvant prêter à autrui ces représentations d’action il ne pourrait attribuer un sens quelconque au comportement d’un sujet qui agirait en sa présence. Faute de pouvoir s’insérer dans la chaîne 6 intentionnelle de l’action, il ne pourrait partager avec l’agent observé un chainon essentiel ; le sens de l’action lui échapperait : « … elle (l’imagerie motrice) permet l’élaboration par le sujet d’une représentation à la fois de soimême et d’autrui comme agents et comme possesseurs de représentations » [7] p222. E. Pacherie fait alors l’hypothèse que les troubles autistiques seraient la conséquence d’une particulière labilité de ces représentations ou images motrices, nécessaires à l’intégration compréhensive des comportements. Deux éléments retiennent notre attention, il s’agit d’une part de la place particulière accordée au mouvement volontaire identifié au moi et, d’autre part, de l’intuition que les images motrices seraient d’autant plus vivement représentées à la conscience, d’autant plus saillantes, que l’effectuation du mouvement se trouverait empêchée. D’où il s’ensuit qu’un freinage, un obstacle à la motricité serait non seulement propice mais nécessaire à la constitution d’un sujet conscient de lui-même, dans l’expérience du mouvement. Pourtant, de façon surprenante, E. Pacherie, suggère que la pratique intensive de la répétition et de l’imitation des mouvements d’autrui serait capable de restaurer « la cascade développementale » qui serait inhibée ou défaillante chez l’autiste.... Il y a là une contradiction qui vient de ce que le cognitivisme semble concevoir le défaut de la conscience de soi comme une faille de la connaissance. L’autisme se ramène alors à un défaut susceptible de céder à des exercices d’imitation, à une sorte de pédagogie du savoir être… Par imitation, par entrainement, un sentiment d’existence arriverait donc au sujet ! L’expérience - la nôtre comme celle d’E.Pacherie, qui n’en tire pas les mêmes conclusions - montre au contraire que la conscience de soi, comme l’Existence, ne se trouve pas dans l’imitation mais dans une opposition au mouvement, dans l’épreuve d’une rencontre animée entre le sujet et l’instance objective qui lui résiste. C’est à partir de ce principe que nous avons développé notre pratique du packing. Le packing. Très brièvement nous décrirons le dispositif du pack, tel que nous l’avons revisité et aménagé. Mais nous ne pourrons pas ici entrer dans le détail des résultats obtenus. On peut toutefois assurer que les packs ont apporté de façon régulière une amélioration très sensible : un délaissement des comportements stéréotypés les plus envahissants et la diversification des modalités de la communication. Pour plus de précision sur ce sujet nous ne pouvons que renvoyer à notre ouvrage [4]. L’enfant (entre 4 et 12 ans en général), allongé, est enveloppé dans des linges humides, à température du corps. La tête seule reste découverte. L’enveloppement est étroit mais doit rester 7 assez lâche pour que l’enfant puisse effectuer des mouvements ou des ébauches d’action. L’enfant doit se trouver auparavant tout à fait rassuré sur le déroulement de la séance. Le meilleur moyen de dédramatiser le pack étant de lui faire assister un bref instant, quelques jours auparavant, à l’enveloppement d’un autre enfant. L’effet immédiat et tout à fait mécanique de ces enveloppements est la limitation de l’agitation, stéréotypée ou non. Il est remarquable de constater que les enfants ne semblent pas rechercher cette motricité provisoirement confisquée. Ils semblent s’en reposer, s’en remettre à l’enveloppement. Mais cet effet de sevrage est intéressant en ce qu’il permet un exercice précis et contrôlé de la motricité volontaire restreinte que l’enveloppement doit absolument garantir. En début de séance on consacre quelques minutes à laisser l’enfant éprouver les limites de la situation dont l’originalité doit pouvoir être appréciée avec curiosité et intérêt. D’autre part il faut que son intérêt nous intéresse ! Rien ne peut s’accomplir qui procéderait de l’inauthentique ou du faire semblant. C’est là une loi fondamentale ! Nous en venons alors à l’exercice d’une sorte de « dialogue tonico postural » dont le déroulement peut être schématisé comme suit. Tout d’abord, nous devons attacher une attention particulière au mouvement, au moindre geste que l’enfant va déclencher, soit spontanément, soit sur notre demande. Chaque mouvement, quelquefois infime, doit être commenté avec un certain luxe de détails. Il doit être considéré comme un événement. Parce que tout mouvement est d’ailleurs, effectivement, un événement ! Que la tête se tourne lorsque l’on décide de tourner la tête est une évidence qui trompe la réflexion. En effet, il n’y a rien de banal dans l’obscure opération qui transforme une idée d’action en action effective. Fausse banalité que cette consécution entre l’idée d’une action et l’action ! Et dire que le cerveau commande l’acte n’éclaircit en rien ce point obscur, au contraire, il le couvre d’ignorance. Ce premier temps d’intervention, qui est fait d’observation et de commentaire a pour but de redonner sa valeur, d’attirer l’attention du sujet sur une capacité passée inaperçue : la manifestation motrice volontaire, et plus précisément « l’effort voulu ». Il faut avouer que la chose est bien subtile… Mais ce qui peut nous encourager à poursuivre dans la subtilité de cet instant, c’est la collaboration spontanée de l’enfant, l’intérêt surprenant qu’il manifeste pour ces phénomènes tellement discrets… D’où vient que ce garçon tapageur, qui échappe à toutes les propositions et cultive une motricité discrètement stéréotypée, montre maintenant un réel intérêt pour les petits mouvements qu’il peut accomplir dans cette situation ? C’est que le « jeu » informel que l’on vient d’installer lui donne l’occasion de se ressaisir dans le dessein de son mouvement. Pour des raisons qu’il importe peu d’éclaircir ici, familiales, génétiques, accidentelles, neurodéveloppementales, le progrès de sa motricité est probablement passé inaperçu. Jamais remarqué ni célébré pour lui-même - dans l’espace du jeu essentiellement – il s’est consommé dans l’utilité immédiate. Le « geste du moi » est resté insignifiant. 8 Dans un deuxième temps nous allons poursuivre l’expérience en ayant recours à certaines épreuves, basées sur la simulation et sur le contrariement des mouvements de l’enfant. Les mouvements ébauchés : L’ébauche est un mouvement qui s’arrête avant d’avoir atteint son terme. C’est aussi la chance de se percevoir soi-même dans l’effort et dans sa limite. (Rappelons que l’enveloppement est réalisé selon une technique qui permet l’esquisse d’actions limitées.) Nous demandons à l’enfant d’effectuer un geste qui n’est pas totalement réalisable. Nous allons, par exemple, lui suggérer de saisir la main que nous lui tendons. La plupart du temps l’obstacle à la réalisation est vécu comme un phénomène qui mérite d’être remarqué. L’enfant, d’abord intrigué, manifeste bientôt un intérêt amusé et se montre disposé à répéter l’expérience de nombreuses fois. Nous multiplions ces ébauches de mouvement que nous accueillons avec des signes d’approbations qui doivent refléter une participation authentique à l’expérience vécue par le sujet et « comprise » par le thérapeute. Lorsque les circonstances s’y prêtent, quand la confiance s’accroit, nous allons demander la réalisation d’actions de plus en plus diversifiées, mettant en jeu toutes les parties du corps. Nous pouvons, par exemple, lorsque l’enfant devient sensible à l’aspect ludique de la situation, lui demander de courir pour rejoindre ses camarades. A cette suggestion il répond généralement en ébauchant une agitation des membres inférieurs qui évoque une déambulation rapide. Simulations et réalisation de mouvements Nous pouvons aussi face à l’enfant, faire état de notre capacité à réaliser des actes simples qu’il n’est pas, lui, pour l’instant, en mesure d’accomplir. Ainsi, nous prévenons de notre intention d’ouvrir la porte de la salle … Et nous irons à plusieurs reprises ébaucher la réalisation de cette action. L’enfant qui peut verbaliser nous encourage régulièrement à effectuer cet acte simple, comme pour éliminer la tension entre la représentation de l’action et l’action enfin réalisée. A l’inverse nous pouvons « jouer » l’obéissance et réaliser de manière plus ou moins immédiate, les gestes demandés ou commandés par l’enfant. Ces techniques doivent toujours être comprises comme le jeu du mouvement possible ou impossible, ou comme le jeu du mouvement mien comparé au mouvement d’autrui... Le contrariement : Ce néologisme est fait pour insister sur le caractère à la fois actif et constructif d’une dernière modalité d’intervention qui contrarie l’exercice d’une motricité sans conscience. Il s’agit alors de demander à l’enfant d’effectuer certains mouvements que nous allons, soit faciliter, soit empêcher, soit freiner. Nous lui demandons, par exemple, de passer de la position allongée à la position assise. L’intervenant va tout d’abord aider le mouvement, l’initier, le faciliter pour tracer la voie de son 9 effectuation. Et puis, sans commentaire superflu, il va freiner ce même mouvement, voire même s’y opposer. De la même manière, quand on demande à l’enfant de reprendre la position allongée, il se peut qu’on le laisse faire, il se peut qu’on l’en empêche un instant, il se peut également qu’on en freine l’exécution. L’exercice de ces mouvements diversement contrariés doit se poursuivre assez longtemps pour que l’enfant à la fois s’en étonne et s’y intéresse ; il doit toutefois cesser avant de provoquer une lassitude qui lui ferait perdre sa valeur et le transformerait en une gymnastique dépourvue de sens. L’irrégularité et l’apparence aléatoire de ce « contrariement » sont fondamentales, elles permettent de multiplier les modalités d’une résistance qui doit toujours garder un caractère variable et surprenant pour ne jamais se perdre dans l’insignifiance d’une manœuvre monotone. Bien sûr, le principe peut s’appliquer à tous les mouvements. La simple rotation de la tête peut également être demandée, provoquée, empêchée ou freinée… Dans l’animation de ce « contrariement », ce qui vient se juxtaposer de façon explicite aux expériences tonico-posturales éprouvées dans la simulation ou lors les ébauches de mouvements, c’est une forme d’extériorité incarnée, animée par un semblable (un « Nebenmensch » aurait dit le Freud de L’Esquisse), un être auquel l’enfant peut s’opposer, se comparer, s’identifier. Dès lors, ce qui s’oppose, ce n’est plus seulement l’inertie du corps ou la matérialité du monde, c’est l’énigme d’une volonté « autre ». C’est là une introduction à la constitution d’autrui qui mériterait un développement que nous ne pouvons entreprendre ici. Conclusion. Le pack est la mise en œuvre d’un dispositif capable de restituer au mouvement sa capacité d’extraire l’être du gisement anonyme où sinon il demeure. Ce gisement n’est pas le corps, res extensa dont l’âme se distinguerait comme res cogitans. C’est bien plutôt le fond, le néant d’inconscience, que le corps animé transcende en existant. Un enfant qui ne s’est pas trouvé, où qui se perd trop facilement dans la succession des instants où son identité s’égare, cet enfant-là doit pouvoir rencontrer à nouveau autrui, le monde, et lui - au -monde. Encore faut-il que la motricité sans âme qui le maintient dans l’insignifiance soit contestée, gênée, empêchée ; encore faut-il qu’à son « agitation inanimée » soit opposée une « résistance animée ». Les éléments théoriques que nous avons exposés doivent être compris comme une matière thérapeutique, tandis que notre capacité d’invention et d’improvisation, au cas par cas, va constituer le principe actif capable d’affecter réellement l’autisme d’un enfant ; que cet autisme soit envahissant ou partiel, que l’enfant dispose ou non d’éléments de langage. L’efficacité du pack ne résulte pas d’une ruse médicale, elle relève de l’art de re-mettre au monde un enfant, c'est-à-dire de la reprise et de la facilitation d’un processus ordinaire qui s’est trouvé compliqué par des circonstances ou des éléments objectifs, dont l’expertise ne s’impose pas comme un préliminaire indispensable au traitement. 10 Bibliographie [1] De Waelhens, A. (1971). La Psychose. Essai d'interprétation analytique et existentiale, Louvain : Nauwelaerts. [2] Dilthey, W. (1992). Le Monde de l’Esprit. (Tome I). Paris : Aubier. [3] Freud, S. (1956) Esquisse pour une psychologie scientifique. in Naissance de la psychanalyse. Paris : PUF. [4] Gillis, A. (1999). L’autisme attrapé par le corps. Liège. Mardaga. Belgique [5] Henry, M. (1965). Philosophie et phénoménologie du corps. Paris : PUF. [6] Maine de Biran. (2001). Essai sur les fondements de la psychologie. Paris : Vrin. [7] Pacherie,E. (1998). Représentations motrices, imitation et théorie de l’esprit. in Subjectivité et conscience d’agir : approches cognitives et clinique de la psychose. Eds H. Grivois et J. Proust. Paris :

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Alain Gillis



23/03/2015
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