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Le corps dans la psychose, le packing (La borde) enveloppement humide

 Le Corps dans la psychose : Le Packing (La Borde) Enveloppement Humide

 

http://www.bibliotheques-psy.com/spip.php?article897

 

 Autour du packing par Gérard Goncoux

Date de rédaction antérieure : 18 août 2004

Les Publications ci-dessous font partie des textes publiés sur la  Clinique de la Borde

- Approche théorique des thérapies corporelles par enveloppement humide Bernard LAMARSAUDE

par Lamarsaude B

"Afin de comprendre les sentiments d’identité tant normaux que perturbés il nous faut retourner aux modalités primitives de la perception". Margareth MAHLER. 1958.

" Le MOI est d’abord et avant tout un MOI corporel ". Sigmund FREUD "Le Moi et le Ça". 1923.

L’approche théorique des thérapies corporelles par enveloppement humide, de type "Packs" se réfère de fait à tout ce qui concerne l’univers tactile et cutané. C’est le facteur structurant de l’appareil psychique, originant la personnification. Nous nous souviendrons, troublés, que la peau, l’encéphale et le système nerveux sont issus du même feuillet embryonnaire, l’ectoblaste... L’utilisation des Packs et leurs résultats reposent sur le rapport fondamental de l’esprit et du corps. L’unité “psyché-soma"’ est composée de deux éléments, dont l’un, le corps, est méconnu de la vie quotidienne, de l’enseignement, de la psychologie, et qui est pourtant ce sur quoi s’étayent toutes les possibilités de penser. (D.ANZIEU).

L’hypothèse validée dans les packs est, que dans certains états pathologiques cette technique d’enveloppement rassemblerait les éléments épars de représentations corporelles dans une enveloppe restaurant l’unité de la personne...Une possible amélioration pourrait donc passer par un rétablissement d’une expérience de la surface du corps, comme aux premiers stades du développement. Cette délimitation restaurerait le moyen primaire d’échange et le fondement manifeste d’une possibilité d’être. La place de sujet, légitimement restituée au nouveau-né, avant même qu’il se soit personnalisé, représente une potentialité positive pour son devenir. Par rapport à cet idéal, il nous semble toutefois nécessaire de rappeler que le comportement parental et maternel en particulier en ce qui concerne le développement d’un bébé, est le reflet des potentialités liées à l’histoire de cette mère, (elle même inscrite dans son propre roman familial), associé à la place que cet enfant occupe dans l’imaginaire du couple parental.

Il ne faut pas non plus négliger l’existence de la vie fantasmatique du nouveau-né qui parfois, de par elle seule, crée également quelques complications dans sa façon d’être au monde. Il faut également souligner la singularité de la fonction maternelle sur laquelle repose à la fois : - la création d’un environnement suffisamment bon pour permettre le développement de l’enfant - la structurante intrusion de la dimension paternelle dans le rapport inter subjectif mère enfant.

1 APPROCHE DU DÉVELOPPEMENT PSYCHIQUE en considérant la fonction sensorielle comme organisatrice de la psyché.

Je vous laisserai le soin de faire par vos propres associations le lien avec ce qui concerne les packs. Mon exposé sera lacunaire retraçant une démarche personnelle non exhaustive. Il abordera de façon succincte des références déjà bien connues de beaucoup d’entre vous. Son éventuel mérite sera de vous permettre, en accord ou en désaccord avec moi, de vous aider à vous remémorer vos propres références et fils conducteurs personnels dans ce domaine si complexe. L’oeuvre de WINNICOTT sera un fil rouge dans ces rappels. La peau, en plus du rôle biologique complexe qu’elle joue, transforme l’organisme en un système sensible qui participe à l’éprouvé des sensations et qui est un lieu d’échanges avec l’entourage. Voilà résumé ce qui va être le socle de la mise en place de notre psychisme et de notre personnalité.

L’association psycho-somatique génère le sentiment de soi, c’est à dire la personnalisation de l’enfant. C’ est grâce à l’ensemble des soins prodigués et adaptés par les compétences et l’attention de la mère que l’individu acquiert, le sentiment d’exister dans son corps, que le moi se constitue comme moi corporel. Cette dynamique exploite la tendance naturelle de l’enfant à habiter son corps et à trouver du plaisir aux fonctions corporelles. Le point de départ du fonctionnement psychique est l’élaboration imaginaire de partie de sensations et de fonctions somatiques. Au tout début de la vie alternent des séquences de non intégration avec des phases liées aux perceptions sensorielles et à la motricité.

La tendance à intégrer est assistée :
- par l’expérience des soins infantiles
- par les expériences instinctuelles aiguës (moments où l’enfant se rassemble et sent quelque chose). L’interaction du “psychisme et du soma" constitue une phase primitive du développement individuel. Au stade initial du narcissisme primaire, l’environnement et le bébé sont confondus. Petit à petit les sensations et les perceptions des fonctions somatiques vécues grâce à l’association psyché - soma, vont s’élaborer et va se développer le noyau du self imaginaire, c’est à dire le corps vivant ressenti comme ce noyau. Cette élaboration va se faire grâce aux sentiments de continuité d’existence qui est induit par la qualité de l’environnement, c’est à dire du maternage. La perception des limites du corps, du dehors et du dedans, et cette interaction dans ces différentes élaborations permet à l’esprit, donc aux activités mentales, de se mettre en place. Celles-ci consistent en fantasmatisation, en capacité à se souvenir, en compétence à faire des liaisons de cause à effet, en compétence également à pallier aux défaillances et aux carences maternelles par la suite. Les possibilités d’anticipation apparaissent et l’intégration de la notion du temps et de l’espace également.

2 La pensée et les processus intellectuels se développent comme un appareil secondaire à la psyché primitive, ce développement se fait grâce à l’élaboration de la partie psychique du psyché-soma. Je vais essayer de vous faire bénéficier de ce que j’ai mis longtemps à comprendre dans les traductions et dans l’oeuvre elle-même de Winnicott, à savoir la différence entre psyché et psychisme (appelé aussi activité mentale ou esprit).

La psyché est la partie compétente de l’organisme (soma) à éprouver quelque chose de son fonctionnement. Il s’agit d’une fonction extrêmement primaire et archaïque qui persiste comme instance et à partir de laquelle, progressivement et j’oserai presque dire à côté de laquelle va se développer le psychisme qui est le siège de la pensée. Cette précision est indispensable pour comprendre la notion de self et de faux-self dans laquelle les alliances et les interactions des instances psyché-soma-esprit sont modifiées, pour pallier à la carence de l’environnement. Le faux-self est un mode particulier de dissociation entre la psyché et le corps. Le self tendant à être localisé faussement dans l’esprit : il y a séduction de la psyché par l’esprit, le fonctionnement mental perd sa relation intime au corps et devient en quelque sorte une chose en soi. Le self investit l’esprit et se coupe de ses expériences corporelles ce qui entraîne une impression de vide et d’irréalité.

Revenons au stade primitif du non-savoir : l’intériorisation des expériences apaisantes et sécurisantes avec la mère établissent la capacité intra-psychique d’intégrer et d’élaborer des sensations. Prenons pour exemple celles du mamelon dans la bouche. Cette sensation coexiste avec celle d’être entouré du soutien et des bras de la mère. Cette juxtaposition contribue à l’élaboration du proto-concept d’entourer le mamelon avec la bouche, de le contenir dans sa bouche. Les sensations et l’échange sensori-moteur, pour que l’enfant construise son MOI, résultent de l’attention et de la stabilité des soins maternels. C’est l’appareil peau qui permet de ressentir que les parties du corps sont rassemblées et contenues, métaphorisant l’unité du moi. La perception de l’écoulement transitoire des substances corporelles participe à la conception de cette limite structurante.

Lorsque l’environnement, c’est à dire la qualité des soins maternels, est perturbé, il y a perturbation de cette capacité primaire d’élaboration et le nourrisson est amené à fabriquer quelque chose qui remplacera le contenant défaillant. C’est ce qu’Ester Bick appelle une deuxième peau, ou Frances Tustin un système clos. Pour Winnicott, nous avons déjà fait référence à la notion de faux self qui a pour conséquence que l’esprit et le fonctionnement mental perd alors sa relation intime au corps et devient une chose en soi. Cette dynamique sensorialité / conscience nécessite un système de régulation. Pour Bion, et de nombreux auteurs, c’est une fonction spéciale l’attention qui permet l’ajustement au monde extérieur par rapport aux besoins internes.

Il reprend ainsi dans une approche quantitative plaisir - déplaisir, la théorisation de Freud qui décrit la fonction de la peau comme étant celle d’un filtre complexe des stimulations externes, véritable appareil protecteur vis à vis des excitations environnantes, quantitativement inassumable pour le système interne. C’est ce qu’il appelle le parexcitation. La couche externe protectrice (pare-excitation) recouvre, dans une conception topique, la couche réceptrice définie comme un système perception-conscience. Le parexcitation pourrait être comparé à un rhéostat psychologique modulant l’investissement du système perception-conscience. Le développement par Bion de cette notion aboutit au concept de barrière de contact produite par ce qu’il appelle la fonction alpha.

C’est la métabolisation mentale maternelle des angoisses et des projections du bébé (faim, souffrance, solitude, peur de mourir), grâce à sa propre fonction Alpha, qui permet à l’enfant l’intériorisation secondaire de ce vécu. De persécutoire, il a été transformé et restitué au bébé sous forme d’impressions utilisables, décodables et non destructrices. C’est ce que BION appelle la capacité de rêverie de la mère. Cette fonction en se développant chez le tout-petit lui permettra à son tour de transformer les vivances émotionnelles, en éléments alpha, c’est à dire en mentalisations servant à l’élaboration des pensées, des rêves, des souvenirs.

Ces théories développent ce qui était ébauché chez WINNICOTT de la fonction contenante active du psychisme de la mère par rapport aux angoisses archaïques de son bébé. Ainsi, pour résumer, dans la métaphore de la fonction cutanée sous forme de barrière de contact, s’origine de cette possibilité de mettre en place des pensées, et un appareil à penser les pensées. Les pensées n’étant dans les étapes initiales de leur développement, rien de plus que des impressions sensorielles, des vivances émotionnelles très primitives, des “proto-pensées”. Ces données sont reprises dans le concept du Moi-Peau. (Didier ANZIEU).

Au sujet de la fonction corporelle dans les processus de communication non verbale, sont reformulées les trois expériences concomitantes vécues à l’occasion de la tétée et des soins maternels par l’enfant :
- la bouche lui fournit l’expérience d’un contact différenciateur, d’un lieu de passage, d’une incorporation.
- la réplétion permet l’expérience d’une masse centrale d’un plein.
- il est tenu dans les bras, serré contre le corps de sa mère dont il sent la chaleur, l’odeur et les mouvements, porté, manipulé, frotté, lavé, caressé, le tout accompagné généralement d’un bain de paroles. Ces activités conduisent l’enfant à progressivement différencier une face interne et une face externe, c’est-à-dire permettant la distinction du dehors et du dedans, et un volume ambiant dans lequel il se sent baigné.

Surface et volume lui apportent l’expérience d’un contenant. L’espace entre l’entourage maternant, émetteur de messages, et la surface réceptrice du corps est décrite en terme d’interface. Le moi-peau est donc une figuration dont le moi de l’enfant se sert, pour se représenter lui-même, à partir de son expérience de la surface du corps. Pour nulle autre réalité psychique que le moi-peau, le plaisir ne fonde aussi manifestement la possibilité de penser.

Tous ces phénomènes sont vitaux pour la santé de l’enfant qui se comporte comme Si il en avait une prescience comme nous l’ont montré les travaux des éthologistes (TINBERGEN, LORENZ, BOLWBY) dans la mise en évidence de la pulsion d’attachement. C’est un phénomène de besoin de contact du petit vis à vis de sa mère. Il est indépendant de la pulsion orale. Il n’est pas liée non plus à l’angoisse de l’absence du sein qui entraîne l’hallucination de celui-ci. Il s’agit d’une pulsion d’immédiate proximité, de bien-être, de contact, pulsion d’agrippement à sa mère du petit homme. Cette recherche du contact du petit avec sa mère et sa satisfaction est un facteur essentiel du développement affectif, cognitif et social de ce dernier.

3 DU SENTIMENT DE SOI. Pour résumer .

Pour TUSTIN : Le nouveau-né serait dans un état autistique physiologique, si l’on considère qu’il est dans un état antérieur à la pensée. Cet état évolue grâce à la qualité de la prise en charge maternelle et les sensations du nouveau-né se transforment en perceptions qui entraînent le discernement des modèles et l’apparition des fonctions mentales de reconnaissance, classification et empathie. C’est la représentation intérieure de la réalité qui permet la conscience de soi.

Pour WINNICOTT : Le corps est ressenti par l’individu comme le noyau de son self-imaginaire.

Pour DOLTO : Le monde des perceptions-sensations et des vîvances émotionnelles du nouveau-né, va évoluer vers la construction, d’une part d’un schéma corporel conscient et d’autre part d’une image du corps inconsciente. C’est grâce a. notre image du corps, portée et croisée à notre schéma corporel, que nous pouvons entrer en communication avec autrui. Tout contact avec l’autre, que ce contact soit de communication, ou d’évitement de communication, est sous-tendu par l’image inconsciente du corps. Le rapport qu’il y a entre le désir qui s’exprime dans la parole, les fantasmes et les images, à la fois du bébé-sujet et de sa mère, avec les besoins qui doivent être assouvis pour que la vie du corps puisse continuer, permet la relation entre le schéma corporel et l’image du corps.

4 ANGOISSES ARCHAÏQUES, systèmes et désorganisations psychotiques

Tous les phénomènes précédemment abordés, dans leur altération ou leur échec peuvent générer des états psychotiques. La rupture à un moment donné du décodage des perceptions, dans un système émotion-communication entre la mère et l’enfant, déclenche une séparation schéma corporel et image du corps. Une des origines de cette rupture pouvant être la pauvreté d’intention vis à vis du bébé, véhiculé par les mots qu’il entend. Dans cette rupture, le schéma corporel est alors figé à ce moment de bascule dans l’imaginaire d’un désir dissocié de sa possible réalisation, ce qui nous renvoie peut être au problème, par exemple, de la non utilisation partielle de ses potentialités corporelles par l’enfant.

C’est ce que l’on constate lorsque la relation mère-enfant est artificielle. Un début de développement normal s’organise, puis l’excessif effort du bébé à s’adapter à cette relation ne peut plus subsister, après un premier développement normal, ce qui amène une dislocation avec une régression de la personnalité. Les résidus de ce processus subsistent sous la forme de fantasmes liés à la sensation physique.

Cette idée est particulièrement intéressante, par rapport aux syndromes psychotiques gravissimes de la petite enfance inaugurée par des crises d’épilepsie après un développement psychomoteur normal (TUSTIN). Les fantasmes archaïques du nourrisson en rapport avec le vécu corporel sont également abordés dans le concept d’objet d’amour symbiotique par M.MAHLER. La fusion des représentations du soi et de l’objet, amène la notion de perte dans le corps de l’enfant lorsqu’il y a absence de l’objet. Pour F. TUSTIN c’est un trou qui est fait dans le corps par l’absence. La lutte contre ces phénomènes amène l’enfant à des réponses instinctuelles en façonnant des parties de lui comme formes "innées", en utilisant un objet autistique pour boucher ce trou dans un monde où le temps est maîtrisé voire arrêté, s’organisant un système autistique secondaire pour se protéger.

Éviter la conscience d’une image du corps total dans sa peau, peut être un moyen de défense si cette conscience est trop angoissante par rapport à la séparation. Dans ce cas, les parties fragmentées sont-elles rassemblées qu’elles sont à nouveau dispersées tant les terreurs de séparation corporelle sont fortes. Cette notion de séparation est à préciser puisque nous sommes dans une période du développement caractérisée par une non conscience d’être en tant que sujet individualisé. Un bébé cela n’existe pas, puisque la structure première est un environnement plus un individu, l’environnement servant de coquille et l’individu de noyau. L’insuffisance de la coquille (environnement, c.à.d. maternage) menacerait d’avoir à exister, être seul, lorsque l’on n’en a pas les moyens (self non construit) et c’est cela que l’on désigne par séparation à ce stade. C’est une menace d’annihilation, angoisse primitive très réelle qui inclue le mot de mort dans sa description. “La catastrophe qui hanterait le psychisme naissant du bébé humain serait celle du décramponnement qui si elle survient, le pIonge dans une terreur sans nom”.(BlON)

Lorsque cette menace est trop intense, un des moyens d’évitement consiste à ne plus élaborer les vivances et les sensations. Les mécanismes d’identification projective les dénatureront en éléments bêta pour les expulser. Ces vivances qui vont devenir ainsi inutilisables pour l’appareil psychique constituent des choses en soi. Leur agglutination forme un écran, générateur de confusion, entre par exemple conscient et inconscient, sommeil-éveil, ce qui se manifeste par une faillite de la symbolisation, des pensées concrètes, une incapacité à rêver. L’exercice d’une pulsion d’emprise rassurante non destructrice est permise par les premiers contenants rythmiques qui participent à l’élaboration du fantasme inconscient de peau psychique. Ces contenants rythmiques ne concernent pas seulement les kinesthésies mais aussi le flux et le reflux continuel des échanges basés sur l’illusion. (HMG).

L’idée de la défaillance de ce tout premier contenant ou de sa perte confronte l’enfant à ne pas pouvoir intérioriser celui-ci. Ses tentatives à suppléer à cette carence catastrophique passent par l’entretien permanent des auto-sensations et kinesthésies rythmiques. Elles se repèrent cliniquement par des rythmies corporelles qui lorsqu’elles ne se rétablissent pas dans une interrelation à un moment ou à un autre, peuvent se dégrader dans l’automutilation. Ces contenants rythmiques participent normalement "aux grappes de sensations" où le pré-objet et le prémo sont confondus au sein de la "substance commune" en une sorte de matrice post natale. (TUSTIN, HAAG) La rupture prématurée de cette matrice, qui entraîne un vécu d’espace plein de trous et de choses coupées, est liée elle aussi à l’échec de la fonction contenante maternel et de sa capacité de modulation.

Bernard LAMARSAUDE

http://pagesperso-orange.fr/cliniquedelaborde/Auteurs/LAMARSAUDE%20bernard/texte1.htm

- Les packs comme processus thérapeutiques - Les fonctions miroirs

par Pierre DELION

  Le stade du miroir tel qu’il a pu etre décrit par Jacques Lacan témoigne de l’expérience d’identification de l’enfant au cours de laquelle il s’approprie l’image de son propre corps. L’identification primordiale de l’enfant a cette image correspond a la structuration du Je.

Il s’agit la d’une conquete dont certains aspects resteront sans cesse a reconsolider au cours de l’existence. Nous avons vu que précédemment a cette identification de l’enfant, son expérience fantasmatique est celle d’un corps morcelé dans un stade de narcissisme primaire, au cours duquel il est partiellement confondu dans son identité avec son environnement. Dans un premier temps de l’accession a ce qu’il est convenu d’appeler, le stade du miroir, l’enfant perçoit l’image de son corps comme celle d’un etre réel qu’il s’efforce d’approcher sans s’y reconnaître, stade qui témoigne d’une confusion premiere entre soi et l’autre.

Ensuite, l’enfant s’apercevra que ce qu’il perçoit n’est qu’une image, l’autre du miroir n’est pas un etre réel, il distingue alors l’image de l’autre de la réalité de l’autre. La derniere étape de cette conquete est représentée par la conviction pour l’enfant que cette image est la sienne. En se reconnaissant, l’enfant récupere ainsi la dispersion du corps morcelé en une "totalité unifiée" qui est la représentation du corps propre. Cette dialectique de l’enfant avec son image dans le miroir témoigne de son évolution vers une personnification dans laquelle il a accédé au Je, ce que Lacan appelle l’identification primordiale. Dans ce schéma, le sujet voit son image optique virtuelle dans le miroir, ce n’est pas lui, mais il se reconnaît dans cette image, ce qui donne la dimension de l’imaginaire a cette conquete de l’identité.

Si l’on revient a notre sujet, j’oserai une analogie a savoir que l’enveloppement représente un systeme identique au miroir et qui renvoie au sujet une image sensorielle de son corps qui elle aussi doit avoir quelque rapport avec l’imaginaire, puisque cette représentation sensorielle n’est pas son corps réel, mais un systeme qui a partir de sensations, et non plus d’images, lui permet une reconnaissance de lui-meme en un tout unifié, qui le représente. Sans doute les théoriciens contesteront cette pirouette mais peut-etre est-elle un sujet de réflexion intéressant a creuser. Si l’on s’interroge par ailleurs sur d’autres jeux de miroir en cause dans les packs, il me semble intéressant de s’arreter quelques instants sur ce qu’il se passe au niveau des soignants. Il y a dans cette technique l’utilisation inhabituelle pour le soignant de son identité et unité psychosomatique. Certes il pense et fantasme, mais aussi il touche et est dans un rapport de proximité corporelle tres inhabituelle. La charge émotionnelle est intense.

Il suffit d’avoir pratiqué des packs pour savoir que l’on est dans un moment tres particulier ou c’est soi dans son ensemble qui organise ce moment thérapeutique. Le soignant touche donc le corps de l’autre, et le regarde , ... et il y a dans ce regard quelque chose de particulier car c’est voir le patient comme nous n’avons pas l’habitude de le faire. Le sentiment du soignant a ce moment est sans doute tres proche du sentiment de responsabilité et de préoccupation intense de la mere vis a vis de son nouveau-né, dans une perception de la dépendance qui est organisée par cette forme de thérapie.

Le précurseur du miroir c’est le visage de la mere. En l’occurrence dans les séances de packs, il me semble que le visage des soignants qui sont entierement pris par leur fonction d’environnement, représente tout a fait un miroir précurseur. "Ce que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de sa mere, c’est lui-meme, puisque lorsque la mere regarde son bébé, ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit". Je pense alors que le sujet soigné voit dans ce visage, dans ces visages, quelque chose de lui-meme et que de retrouver cette expérience primitive ou primordiale, ou de la découvrir peut etre est surement extremement fondamental dans le pack. Le groupe soignant qui encadre le pack est lui-meme un miroir dans lequel le patient peut se voir. L’attitude de chacun des membres du groupe lui renvoyant quelque chose de lui-meme dans une attention subjectivante.

1 DE LA RÉGRESSION

La situation de thérapie par pack a mon avis repose sur l’instauration, qui peut etre parfois difficile, d’une confiance vis a vis de l’environnement qui permet la régression, et le laisser aller, pour retrouver le contact avec les parties les plus souffrantes de sa personnalité primitive.

Un sentiment de sécurité doit etre retrouvé, et une continuité, dans le rythme des séances. Leur déroulement doit pouvoir etre intériorisé. Cette reconstitution des qualités de l’environnement, qui va permettre la régression, remettra le patient en contact avec son vrai self originaire. Il faut que le soigné puisse revenir a ce stade du psyche-soma dépendant qui est le moment fondateur qui permet a l’individu de se sentir réel. Les phénomenes primitifs d’identification retrouvés aiderons la reconstruction d’un développement moins distordu, le packing permettant une aire intermédiaire d’expérience séparant et reliant la réalité intérieure et la réalité extérieure, le subjectif et l’objectif.

Je vous ai parlé de quelques unes des pistes que j’ai utilisées dans l’élaboration de ma pratique. Le packing a le plus souvent été pour moi une thérapeutique décidée dans une situation extreme, dans un contexte d’impuissance a juguler la catastrophe de l’autre. Peut etre est ce souvent le cas. Peut etre le sentiment d’impuissance associé a l’urgence explique en partie les grandes variations dans les techniques utilisées, Sur ces variations, je pense qu’il y a aussi comme explication la façon de chacun a faire avec le corps et le toucher. La difficulté a toucher, s’organise autour d’un interdit toucher, c’est prendre le risque de séduire, Toucher, c’est aussi risquer l’aller au-dela de l’interdit de l’Oedipe, d’entraîner l’excitation et de déferlement de la pulsion.

C’est prendre également le risque d’avoir a gérer quelque chose de l’agressivité. Peut etre ces sentiments expliquent le peu de communication entre les équipes au sujet des Packs. Pourtant le toucher primordial et primitif c’est assurer les soins du corps, c’est encore vérifier l’existence de l’objet. Quoi qu’il en soit je voudrais souligner que ce travail de soin doit etre fait dans un cadre élaboratif et éthique rigoureux qui doit servir de contenant aux soignants qui s’impliquent dans cette technique.

Pierre DELION

http://pagesperso-orange.fr/cliniquedelaborde/Auteurs/DELION%20pierre/texte3.htm

par Lamarsaude B

- Psychose-Pack-Institution : approche phénoménologique du corps

par  Philippe BICHON

La "corporéité vivante", notion phénoménologique conceptualisée par Zutt se définit par deux pôles :

Premier pôle, "le corps porteur" est constitué par la sphère vitale affective-végétative. Le sommeil, la faim, la soif, l’ennui, la tristesse, la joie, appartiennent à cette sphère vitale affective et végétative. Ils échappent à la volonté et constituent le corps porteur comme "être une corporéité vivante involontaire". C’est à partir de ce corps porteur, par ce nécessaire commerce primordial avec le monde, que se manifeste le deuxième pôle de notre corporéité vivante en tant que "corps en apparition". Par exemple, dans la P.M.D., le trouble de l’humeur est en rapport direct avec le "corps porteur". Le courant continu de ce que, involontairement, nous sommes portés à faire, ce devenir involontaire, est ici marqué par le rythme cyclique d’une horloge quasi biologique.

Le "corps porteur", entraîné et mû par nos états d’âme et nos impulsions instinctives, est la base de notre commerce primordial avec le monde. Le “commerce”, “l’Umgang" au sens de Von Weizsacker. L’homme dans ce qu’il a d’humain est défini comme commerce. La réalité même de l’homme est vue ici comme une explication constante du moi avec le monde ambiant (Umwelt), une rencontre toujours nouvelle du moi avec le monde ambiant. Heidegger, dans l’analyse de la présence de l’être là (Dasein), situe aussi l’être au monde dans un rapport de commerce qui a pour support et pour guide une attitude que l’existence humaine choisit librement. Cette attitude que l’existence humaine choisit librement est en rapport avec “l’attitude interne" dont parle Zutt. En s’appuyant sur le "le corps porteur", cette “attitude interne”, cet agir volontaire, se manifeste au monde qui nous entoure comme être -corporéité orientée dans le monde ou comme Corps en apparition.

Cette attitude interne, ce corps en apparition, permet d’informer de façon volontaire une autre personne de ce que nous ressentons et de recevoir de l’autre une telle information sur un mode également volontaire. L’attitude interne constitue une sorte de frontière ; elle donne à la personne la possibilité de se manifester de la manière qu’elle choisit. Elle décide de ce qu’elle laisse transparaître dans la Physiognomonie.

Ce qui est significatif, physiognomiquement parlant, dans le corps de la personne et dans les choses, est la superficie c’est-à-dire l’apparition.

Le corps en apparition. L’apparaître est à la fois réassurance en ce qu’il laisse voir, et inquiétude en ce qu’il peut dissimuler ou feindre. C’est le degré de confiance qui organise la distance que nous mettons vis-à-vis les êtres ou les choses. L’attitude interne oscille entre les deux pôles de l’union et du rejet.

1 "Lorsque nous acceptons une personne étrangère, par les vécus communs, le monde de l’autre, selon le degré d’acceptation, devient aussi notre monde propre Lorsque nous le rejetons, le monde propre est délimité de celui de l’étranger de manière précise". (Zutt)

En vivant au milieu de personnes et de choses auxquelles nous faisons confiance, s’organise la catégorie de ce qui est proche et des proches. La “tranquillité en suspens” est, selon Zutt, la condition de possibilité de la prise de conscience de la “mobilité temporospatiale” de notre vie vivante. Cette mobilité temporospatiale de notre vie vivante se manifeste dans le "regarder”, le "montrer", le "prendre", dans la discontinuité des physiognomies du corps en apparition. Tout ce qui se manifeste dans le corps en apparition appartient à la sphère des vivances esthétiques. Ces manifestations qui révèlent quelque chose de leur essence, Zutt les nomme “Physiognomonies”. L’essence de ces manifestations est en rapport direct avec “l’humeur fondamentale” , la "Grundstimmung ", l’état d’âme du corps porteur.

L’attitude interne va révéler cet état d’âme, cette humeur fondamentale (triste ou gaie...), articulant la personne avec le monde. La communication avec le monde dépend fondamentalement du degré des capacités esthétiques de chaque personne. L’attitude interne, cette frontière interne qui rend possible à tout instant la séparation d’un ’’intérieur privé’’ (une intimité) de la manifestation externe officielle, a pour effet la possibilité de feindre, de tromper. Réciproquement, elle recèle pour l’autre l’éventualité d’être trompé, trahi. La Frontière interne nécessite une première possibilité logique, celle de décider d’apparaître, de choisir d’apparaître.

Dans la schizophrénie cette première possibilité n’étant pas bien constituée, la deuxième possibilité, cette possibilité de feindre, de cacher son intimité (le degré des capacités esthétiques) est troublée, altérée. Cette dépossibilisation crée un sentiment de perplexité, d’étrangeté. "La sécurité naturelle, pour laquelle se montre, à travers toutes ses manifestations, l’être et ses tendances, l’ordre des physiognomonies selon leur rang entre le proche et le lointain, le connu et l’étranger, est perturbée". (Zutt)

“La perte de l’évidence naturelle” est, selon Blankenburg, au cœur de l’hébéphrénie. Les jugements de type sens commun - ce qui se comprend de soi-même - sont altérés. La relation au monde environnant, dépourvue de sens et inquiétante, trouble la possibilité de mettre une distance adéquate entre soi-même et les autres. Le sentiment de “perte de son intimité”, le sentiment “d’influence”, les troubles de l’activité, ressortissent de cet effondrement. Effondrement de la relation naturelle qui existe entre la manifestation (corps en apparition) et l’essence (corps porteur) qui s’y révèle. La perte de confiance dans le familier et la perte de son intimité vont de paire avec le fait de ne pouvoir ni se défendre des regards étrangers ni se fermer au monde.Zutt définit l’hallucination visuelle, non comme un voir actif, mais comme un être regardé. De même, il définit l’hallucination auditive comme un "être parlé".

2 L’IMAGE DU CORPS selon Gisela PANKOW

Selon G. Pankow, reconnaître sa propre image est un acte de liberté qui suppose l’acceptation de sa corporéité, non plus comme seulement ressentie ou comme être pour soi, mais comme vue et comme être pour autrui. Elle définit au niveau de l’image du corps deux fonctions :

- la fonction symbolisante primaire : "La première fonction de l’image du corps concerne uniquement sa structure spatiale en tant que forme ou Gestalt, c’est-à-dire en tant que cette structure exprime un lieu dynamique entre les parties et la totalité". C’est à rapprocher, au niveau mathématique, de la théorie des ensembles, des lois internes qui permettent le lien, la relation des éléments entre eux dans l’ensemble. Selon Pankow, dans le phénomène de dissociation, cette première fonction est altérée, il n’y a plus de lien entre la partie et la totalité, une partie peut être totalité.. C’est au niveau du CORPS VÉCU. Pour faire un parallèle avec ZUTT, ce qui fait lien dynamique est en rapport avec l’attitude interne. Zutt, en relation avec "l’attitude interne", parlait de FRONTIÈRE INTERNE qui donne à la personne la possibilité de se manifester de la manière qu’elle choisit, elle décide de ce qu’elle laisse apparaître dans la physiognomie.

C’est à ce niveau de l’attitude interne en tant que liberté de choisir, que se situe l’aliénation schizophrénique. Les tics, le maniérisme, illustrent bien cette défaillance du "CORPS EN APPARITION". Pankow précise que la destruction de l’image du corps au cours de la schizophrénie s’accompagne simultanément d’une "perte de la relation à l’histoire". Cette perte de relation à l’histoire, cette discontinuité existentielle est en rapport avec l’absence de point de rassemblement. "Cela ne cesse pas de ne pas s’écrire". Un nœud n’a pas été fait, le stade du miroir n’a pas fonctionné, il n’y a pas de "Y a d’l’un". Le sentiment d’étrangeté, de bizarrerie, cet insaisissable de ces sujet schizophrènes, en sont l’expression directe.

- la seconde fonction de l’image du corps donne accès à autrui et aux relations humaines. Ce n’est plus la forme de l’image du corps qui est concernée, mais son contenu et son sens. C’est au niveau du CORPS RESSENTI. Son altération s’exprime cliniquement, selon Pankow, dans la psychose hystérique (Randpsychose, par opposition à Kenipsychose). En référence à Zutt, nous pouvons situer cela au niveau d’un trouble de la FRONTIÈRE INTERNE. Cette frontière interne donne la possibilité de choisir son apparaître dans telle ou telle physiognomie, mais aussi elle est possibilité de se cacher à soi-même sa propre essence, comme l’acteur dans la peau de son personnage relègue dans l’ombre sa propre personnalité, y compris pour lui-même.

L’altération de cette seconde possibilité de la frontière interne est très bien illustrée par un exemple clinique donné par Pankow : "La malade, une artiste qui se présenta à cette consultation comme la fille de Konrad Adenauer, maniait son délire d’une façon étonnante. On avait l’impression qu’elle était entrée dans la peau de son personnage et qu’elle tenait maintenant son rôle avec une grande cohérence. La malade se voyait jouer elle-même comme dans un miroir et racontait cette expérience avec beaucoup de logique. Elle parlait d’elle-même à la première personne et jouait la comédie sans simuler... La notion de temps était intacte et elle décrivait son jeu de l’extérieur. Ce lien entre le monde interne et le monde externe n’est pas possible chez le schizophrène".

La première possibilité de la frontière interne ne semble pas touchée dans la psychose hystérique, car elle peut décider son apparaître, même si elle s’y aliène dans sa façon de le choisir. Le "corps en apparition" est troublé dans son contenu et son sens, mais pas dans sa manifestation, dans son apparaître. WINNICOTT ET LES PACKS Qu’est-ce qui se travaille dans une séance de pack ? A propos de la schizophrénie, Winnicott parle de Désintégration qu’il oppose à l’intégration et qu’il faut bien différencier de la Non-Intégration. Grâce à la "Préoccupation maternelle primaire", l’intégration apparaît graduellement à partir d’un état primaire non-intégré. Au début l’individu ne constitue pas l’unité ; l’unité est la structure individu-environnement.

Le nourrisson est dans le processus primaire, dans le principe plaisir-déplaisir. Quand il a faim, il hallucine le sein. C’est à la place même où l’objet est halluciné par l’enfant que la "mère suffisamment bonne" vient lui présenter. C’est dans cet "espace transitionnel" où sont maintenues à la fois séparée et reliée l’une à l’autre réalité intérieure et réalité extérieure, que petit à petit l’intégration peut se faire. Le nourrisson oscille sans cesse entre des moments de non-intégration et des moments d’intégration. Cela nécessite un état d’isolement tranquille.

3 La désintégration, chez le schizophrène, n’est pas un retour à l’état de non-intégration. L’état d’isolement dans lequel il se trouve est un isolement réactionnel. Ce n’est pas ce même état d’isolement tranquille de la non-intégration. Dans cet isolement réactionnel, il se défend de l’intrusion du monde extérieur.

La séance de pack, l’espace du pack, est l’occasion de créer, d’une certaine manière, une unité "individu-environnement" où une ambiance tranquille, sécurisante, suffisamment bonne, lui permettant de s’approcher de cet isolement tranquille nécessaire à la construction de tout individu. Cet isolement tranquille n’est pas à confondre avec une régression à l’isolement primaire du nourrisson, retour par définition impossible, car la désintégration est un avatar, un ratage du processus d’intégration. Cet isolement tranquille permet progressivement un abandon des défenses paranoïdes, la création d’une confiance. Dans cette unité individu-environnement que constitue l’espace du pack, il se travaille quelque chose au niveau pathique, au niveau des vivances esthétiques.

L’enveloppement, le contexte (sécurisant et rassurant si on arrive à le créer) modifient l’apparaître, la manifestation du corps en apparition. A être enveloppé, il peut apparaître ; cette apparition, cette momie, ce fantôme, cela se traduit souvent par le fantasme du linceul de la mort. C’est la mort d’un rôle inaccessible, cette impossibilité de l’attitude interne à choisir sa physiognomie n’occasionne plus le même effondrement du rapport pathique au monde. Le proche et le lointain sont créés, d’une certaine manière, artificiellement. Les packants peuvent devenir, en quelque sorte, des proches, des familiers. L’apparition d’un sentiment de familiarité au sein de cet espace transitionnel, permet l’ébauche de greffes de transfert : il y a quelqu’un qui compte pour moi.

Mais c’est aussi, là, toute la difficulté : dans le tenir, le maintenir, une rythmicité, une continuité. C’est de ce maintien, ce holding, cette scansion, cette répétition des séances, que peut naître l’isolement tranquille, la confiance. Ce n’est qu’à ce prix que le sujet schizophrène peut abandonner ses défenses paranoïdes. Défenses qui sont une protection contre la catastrophe schizophrénique, le chaos, la détresse, la menace d’annihilation. Abandonner ses défenses, c’est prendre le risque de plonger dans ce chaos. Cette confiance dans cette maintenance est un des éléments essentiels de la cure. Dans la schizophrénie, le trouble du corps en apparition est en rapport avec des sentiments de rupture, de discontinuité, d’écart, qui se traduisent dans la vie quotidienne par la difficulté de passer d’un espace à l’autre.

Il y a une rupture dans son rapport avec l’environnement immédiat qui fait qu’il ne se sent pas la même personne en deux endroits. Il n’y a pas de sentiment continu d’exister. C’est la répétition des séances, de moments de rassemblement, qui fait tenant-lieu de continuité ; ainsi, quelque chose peut tenir d’une séance à l’autre. D’ailleurs, cela pose, à un certain niveau, la question de l’indication des packs plutôt qu’autre chose. Un atelier qui serait bien foutu pourrait articuler les choses un peu de la même manière. La participation régulière à un atelier peut faire tenant-lieu de continuité si l’accueil et l’ambiance sont rassurants et sécurisants ; cela permet un abandon des défenses paranoïdes et permet des greffes de transfert. L’atelier pouvant faire fonction, comme le pack, d’espace transitionnel.

Mais nous verrons plus loin que c’est peut-être là qu’il faut affiner. En effet, être packé ou participer à un atelier n’est pas la même chose. Pour mieux saisir la distinction, il apparaît nécessaire d’articuler les packs avec l’ensemble des soins et de tout le travail institutionnel.

4 PACK ET INSTITUTION

A un niveau institutionnel, à chaque fois que des packs ont été faits, la nécessité est apparue de mettre en place une réunion des packants. Pas d’une équipe de packants, mais de l’ensemble des packants, c’est-à-dire qu’il y a toujours plusieurs cures de packs en même temps, et qu’on mélange toutes les équipes une fois par semaine pour parler de ce qui se passe. Quel est le fondement de cette nécessité ? Un seul pack nous apparaît comme intenable du fait de la conflictualité que cela va provoquer entre les packants et le reste des soignants. On entend souvent : "les packs c’est un luxe, pendant qu’il est au pack, il ne fait pas le ménage" ; cela donne l’impression que le packant fait un travail privilégié, un travail noble.

La pression de l’ensemble sur un petit groupe de packant est difficilement gérable. Cela risque de cristalliser toute l’agressivité sur ce groupe qui incarnera la fonction de bouc émissaire. Et du coup, le risque est trop grand pour le malade de se trouver ainsi dans une position "exclusive", d’exclu. Autant par un transfert rejetant des autres soignants - trop contents de constater que le malade va plus mal depuis ses packs et que les collègues sont vraiment des bons à rien - que par la jalousie des autres malades d’une telle préoccupation qui ne leur est pas accordée.

Cette réunion a plusieurs fonctions indispensables :

- La fonction phorique : Le contexte de la séance permet l’accès à une "intimité", mais aussi au chaos et à l’angoisse psychotique. Cela induit de nombreuses résistances, rater la réunion, ne pas trouver le temps pour la séance de pack. Cela produit des conflits, des clivages au sein des équipes, le bon et le mauvais objet. La réunion permet de travailler toutes les conflictualités internes provoquées par un tel rapport de proximité et de soutenir les packants.

- La fonction de formation : par exemple, la dimension phénoménologique du vécu psychotique est bien plus accessible dans un tel contexte. Ou encore repérer la structure particulière du transfert dans la schizophrénie et la nécessité d’une prise en charge collective.

- La fonction de rassemblement : la frontière interne dont parle Zutt n’est pas à entendre comme limite d’un intérieur et d’un extérieur, comme si nous étions dans une enveloppe. Dans notre être au monde, la limite visible est notre peau, mais nous sommes immergés, plongés dans le monde, dans l’ambiance. Nous faisons corps avec le paysage qui nous entoure. Cette délimitation intérieure et extérieure est bien plus quelque chose de l’ordre de la bande de Moebius, du "huit inversé".

Le fait que les packants se réunissent entre eux, se rassemblent, cela facilite aussi le rassemblement des packés. Cette tranquillité, cette possibilité des packants de parler de leurs difficultés, de se soutenir entre eux, c’est la garantie d’une meilleure protection, d’une présence encore plus sécurisante pour le packé ; cela soutient et nourrit, pourrait-on dire, les capacités esthétiques de chacun. Cette circularité, ce commerce à plusieurs niveaux entre les packants, les packés constituent une sorte d’événement-avènement par rapport à l’ensemble de l’établissement.

Cette institution pack s’articule avec les autres institutions et ne peut prendre sens que dans cette articulation. On peut situer l’institution pack à plusieurs niveaux :

1) le packé et les troubles de la vivance esthétique,

2) les packants et leur investissement,

3) la réunion des packants et le développement des capacités esthétiques,

4) le club, le collectif. A propos de l’outil thérapeutique que sont les packs et de leur indication.

Il apparaît que l’indication la plus classique, c’est la schizophrénie dissociative avec retrait, repli autistique. La sphère des vivances esthétiques est perturbée en son centre. Ce trou, cette béance, produit une telle coupure d’avec le monde qu’il faut une stratégie d’approche et de mise en relation. L’échange avec l’autre est tellement désinvestit que le sujet schizophrène traverse tout ce qui se passe, de la même manière que tout le traverse. Constituer un îlot de sécurité où être avec l’autre, se manifester, est possible. Étayage rapproché, rythme soutenu. C’est un travail au niveau de l’espace transitionnel.

C’est une greffe d’espace transitionnel, condition indispensable à l’ébauche d’une greffe de transfert. C’est à ce niveau-là que cela se distingue de l’outil atelier. L’intensité du processus dissociatif, de la coupure d’avec le monde, barre tout accès à cet espace de l’atelier et au club. Il faut un minimum d’espace transitionnel, une possibilité, une potentialité d’expérience pour se lancer dans la vie et se mettre en mouvement. Winnicott définit "l’espace potentiel" comme prolongement de "l’espace transitionnel". Cet espace potentiel se situe entre le domaine où il n’y a rien sinon moi et le domaine où il y a des phénomènes qui échappent au contrôle omnipotent. L’espace potentiel constitue une aire d’expérience. C’est cet accompagnement confiant du pack qui permet d’aller à l’aventure des différentes taches d’ambiance, de faire l’expérience du monde. Le passage du pack au club, c’est un pont creux, un cheminement dans cette aire d’expérience.

5 Par exemple, une cure de pack se met en place pour Jean-Pierre, un jeune schizophrène très isolé et replié sur lui-même. Il ne se manifestait que dans des épisodes critiques d’automutilation. Après deux ans de packs, une relation très forte avec un moniteur s’est mise en place. L’investissement de ce moniteur dans un atelier (le poulailler) a permis à Jean-Pierre de rencontrer un autre moniteur, qui l’a fait participer à l’atelier "chauffe".

Et c’est de là que, petit à petit, il a pu organiser sa sortie dans un appartement. Il était à La Borde après de nombreuses fugues faites dans des véhicules d’emprunt. Le pack, c’est l’essence de l’atelier, il s’y travaille la même chose mais un à un niveau plus basal. On pourrait dire que ça travaille quelque chose au niveau de la première possibilité de la frontière interne dont parle Zutt. L’atelier se situe, lui, au niveau de la deuxième possibilité de la frontière interne, il permet l’apparition du corps et de ses différentes physiognomonies

Avant d’être à l’atelier, il est nécessaire d’apparaître pour se manifester dans un commerce avec le monde. Le pack, dans sa fonction d’accueil, de rassurance, d’être au plus proche du plus lointain dans une ambiance chaleureuse et sécurisante, s’élargit à d’autres soins ayant la même fonction. Cette fonction, que l’on pourrait appeler du soin, permet la constitution d’une frontière interne ; elle va possibiliser la possibilité de choisir son apparaître, sa manifestation, sa physiognomie. En ce sens, des moments comme le lever, le coucher, le se-laver, nécessitent tout autant cette possibilisation.

L’atelier qui est au niveau de la deuxième possibilité de cette frontière interne permet la possibilisation d une aire d’expérience, la potentialité de se créer une image, un style ; d’être là dans la création esthétique, dans la physiognomie ; il ouvre la relation au monde et à autrui, donne contenu et sens à l’existence. On peut continuer ce saut épistémologique qui nous fait passer de l’individu à l’institution. On peut essayer de mettre en rapport certains concepts. Le corps porteur institutionnel serait une sorte de reflet de l’état d’âme, de l’ambiance du "collectif", au sens où l’entend Oury, pas comme ensemble physique des gens qui sont là mais comme outil conceptuel. "Le collectif, c’est une machine abstraite... dont la finalité est de faire fonctionner toutes les structures institutionnelles dans une dimension psychotique.

Il y a des moments de tristesse et des moments de joie, des problèmes végétatifs, des pannes de chaufferie, des fuites, etc. Ce saut permet d’ailleurs de mieux se représenter que le flux qui traverse et constitue de manière continue ce corps porteur, est d’une complexité très grande. L’humeur fondamentale s’appuie sur un tissu pathique hétérogène et fluctuant. Le corps porteur institutionnel peut être mis en relation avec ce qu’il y a de plus basal dans notre être-là dans l’institution. A savoir, la fonction soignante dans sa dimension de PRENDRE SOIN DE afin de faire en sorte que les sujets psychotiques puissent apparaître. Se lever, se laver, manger. C’est le support de la fonction Du Soin. Le Corps en apparition institutionnelle, c’est la manifestation, c’est l’apparaître du "collectif". L’apparaître qui potentialise les possibilités de créativité - lieu des liens, du transfert, du mouvement.

Ce qui s’exprime au sein des ateliers, ce corps en apparition institutionnel se traduit dans les différentes physiognomonies du Club. On pourrait l’appeler Du Club en un seul mot. C’est la vivance esthétique du club. Dans ce musement conceptuel, le collectif est au corps institutionnel ce que le sujet de l’inconscient est au corps vivant ; c’est le parlêtre institutionnel. Dans ce sens, il me semble intéressant de repérer la relation entre l’attitude interne de Zutt et deux concepts développés par Oury Le Décisoire et la Fonction diacritique.

Le Décisoire est de l’ordre de la première possibilité de la frontière interne : la possibilité d’apparaître, d’être dans l’émergence. La décision c’est une émergence de l’être dans la sphère esthétique. Au niveau institutionnel, la fonction décisoire c’est la possibilité d’émergence d’un processus d’institutionnalisation.

La Fonction diacritique "est une fonction d’analyse structurale... qui permet de distinguer les différentes choses..., de pouvoir séparer les plans, les registres ; de mettre en place un réseau de distinctivités". La fonction diacritique, d’analyse permanente de ce qui se passe, de ce qui chemine, avec comme questions fondamentales "qu’est-ce que je fous là jeté dans le monde ?", "qu’est-ce que je fabrique avec mes outils conceptuels ?". Le bricolage. La possibilité de bâtir. Cette analyse permanente du collectif est dans une sorte de rapport de bijection avec l’espace potentiel.

C’est la possibilisation d’un processus d’institutionnalisation permanent, de la vivance esthétique DuClub. La Capacité esthétique dont parle Zutt peut ainsi être mise en rapport avec le coefficient de transversalité dont parle Félix Guattari.

6 "Mettez dans un champ des chevaux avec des œillères réglables et disons que le coefficient de transversalité sera justement ce réglage des œillères... Dans un hôpital, le coefficient de transversalité est le degré d’aveuglement de chaque membre du personnel. Mais attention, nous formulons l’hypothèse que le réglage officiel de toutes les œillères et les énoncés manifestes qui en résultent dépendent presque mécaniquement de ce qui se passe au niveau du médecin-chef, du directeur, de l’économe, etc".

La capacité esthétique, c’est le degré de liberté des créations physiognomiques d’un individu. Le coefficient de Transversalité, c’est le degré de liberté de création de "Groupe-sujet". Pour faire une sorte de boucle, ou plutôt finir le tour de la bande de Moebius, retourner à la case départ, celle du sujet psychotique en souffrance, en passant par le corps soignant en souffrance. Si quelque chose du corps en apparition institutionnel, la fonction DuClub, défaille ou n’ existe pas, ça va faire symptôme dans la fonction du Du Soin. Cette défaillance du corps en apparition institutionnel est en rapport avec un trouble de la fonction diacritique.

Les patients peuvent décider d’apparaître, mais si rien ne soutient cette apparition, le retrait autistique, les angoisses psychotiques, font symptôme par leurs irruptions incessantes et grimaçantes. La décision de commencer des packs, c’est une sorte d’interprétation, à condition que cela mette vraiment en mouvement un processus d’institutionnalisation, c’est-à-dire que cela modifie la physiognomie du corps institutionnel en apparition. Ainsi prendre soin de ces fous complètement déconnectés du monde, errant dans le nulle part, en les enveloppant dans des draps, c’est en même temps faire des packs au Collectif. Pour qu’il y ait DuClub, cela nécessite d’abord qu’il y ait Du Soin, mais en même pour qu’il y ait Du Soin, cela nécessite DuClub. Ce n’est que dans le passage d’un espace à un autre que peut s’ouvrir un champ de distinctivité.

Philippe BICHON

http://pagesperso-orange.fr/cliniquedelaborde/Auteurs/BICHON%20philippe/texte4.htm

- Ecrire un pack

par  Roger GENTIS - Extrait de EMPAN n. 11 Juin 1993 pp. 61-64

Je vais expliquer comment on fait un pack. Selon moi, outre le patient bien sûr, il faut au moins être trois.

Les draps mouillés sont disposés sur un matelas, à même le sol. Le patient s’allonge sur eux, dévêtu - entre deux des soignants. Ceux-ci agissant de façon symétrique et coordonnée, enveloppent rapidement le patient dans les draps, suivant un plan concerté, puis le recouvrent d’une couverture, et se déplacent enfin pour s’agenouiller l’un à la tête, l’autre aux pieds… Je parlerai ici du troisième, qui depuis le début est assis à une petite table, un peu à l’écart, de quoi écrire devant lui. Il a même d’ailleurs peut-être commencé à prendre des notes, s’il a remarqué dans le comportement des autres (les soignants comme le patient) des choses qui lui semblent intéressantes - toutes les paroles seront en tout cas consignées. Et ainsi se poursuit, pendant trente, quarante minutes ou davantage, la séance.

Une fois le patient dépaqueté, séché, bouchonné, revêtu, il arrive qu’une conversation s’engage - ou se poursuive, entre lui et les deux qui l’ont "accompagné". Le troisième s’est déjà retiré - ou alors il a abandonné plume et papier et participe simplement à la conversation : il n’est plus en place de secrétaire. Mais une fois le patient reparti, les trois soignants vont parler entre eux de ce qui s’est passé, et d’autres notes seront prises (peu importe par qui) au cours de cette discussion. Toutes ces notes seront ensuite reprises en réunion d’équipe. Non qu’elles y soient relues intégralement, si ce n’est peut-être à l’occasion, lorsqu’il est survenu dans la séance quelque chose de nouveau ou de décisif - ou alors lorsque l’équipe de soins, parvenant mal à saisir ce malade, se penche sur toutes les observations susceptibles de l’éclairer.

Mais la plupart du temps, la séance de packing représente pour l’équipe soignante un moment parmi d’autres où il s’est passé quelque chose, et tous ces moments doivent être repris, commentés et articulés entre eux dans le discours collectif. Mais pourquoi donc un secrétaire ? Deux soignants ne suffiraient-ils pas, ne seraient-ils pas capables de parler de ce qu’ils ont vécu et observé avec le patient, entre eux et avec l’équipe ? Sans doute - mais il y manquerait quelque chose dans la mise en scène : une présence de l’écriture, en tant qu’écrit et en tant qu’acte, dans l’espace de la séance. La fonction de secrétaire est pour moi inhérente au dispositif, elle fait partie intégrante du cadre thérapeutique.

1 On voit que cet agencement reproduit de façon analogique un modèle bien connu : celui de la relation primaire, aux premières semaines de la vie, de l’enfant avec ses parents.

Dans ce modèle, tel que l’a par exemple décrit Bion, la mère est avec l’enfant (l’enfant, qui n’a pas encore accédé au langage verbal) dans un corps à corps, et ce qu’elle perçoit de lui dans une espèce de rêverie (les "éléments béta", dit Bion, informes et inorganisés) elle les élabore mentalement (c’est ce que Bion appelle la "fonction alpha")- et le soir, lorsque le père rentre au cottage après une dure journée de travail (et si ça se trouve, après un tour quand même au pub avec les copains), elle pourra lui raconter au coin du feu ce qu’a fait sa fille ou son fils - elle a mis des mots, un sens dans ce chaos d’indices et d’affects auquel elle a été soumise le journée durant. Et bien sûr, c’est en parlant avec le père qu’elle trouve les mots pour le dire - même si, anticipant sa venue, elle s’est dit (parlant avec lui dans sa tête) : "tiens, quand il rentrera, je lui dirai ceci ou cela".

Ce modèle n’est qu’’ un schéma : on peut imaginer que la "mère" n’est pas la vraie mère, mais une grand-mère ou une nourrice, voire le père en personne - et que ce n’est pas au "père" que la "mère" raconte sa journée, mais à sa propre mère, à une soeur, une amie, peu importe (l’intérêt du père, c’est qu’il quitte le foyer tous les jours, qu’il va à son travail, qu’il y retrouve des collègues, et des copains au bistrot et des voisins dans le R.E.R., et qu’il raconte à son tour, à qui veut l’entendre et en les enjolivant quelque peu, entre les commentaires du match de foot de la veille et les derniers tuyaux du tiercé dominical, les exploits de son fils ou les coquineries de sa fille).

Dans ce schéma, il faut donc entendre "mère" et "père" comme des places et des fonctions, qui ne sont pas forcément occupés par le père et la mère réels. Il est clair que, dans le dispositif thérapeutique que j’ai décrit, le secrétaire occupe la place du "père" entant qu’il représente l’extérieur, et d’abord le collectif soignant. Si le patient s’informe sur sa présence, sur sa fonction,il apprendra ce que j’ai dit plus haut : ces notes vont servir à parler de la séance, entre ceux qui sont ici et d’autres qui n’y sont pas, mais que le patient connaît pour la plupart. Dans l’ici et le maintenant de la séance, le secrétaire réfère à un ailleurs et à un plus tard. Vacuole certes que la séance de packing, bulle régressive peut-être - mais néanmoins articulée à un dehors, sur le plan spatial et dans l’axe temporel : un dehors instituant, ou sont calculées, fixées, préétablies les coordonnées spatio-temporelles de la séance elle-même, et des autres séances - de la thérapie.

Ailleurs donc du symbolique, où règnent (à commencer par l’horaire, le calendrier, la langue) les innombrables conventions qui permettent aux gens de vivre ensemble - et d’abord de nous retrouver en ce lieu, pour ce travail, ici et maintenant. Ici et maintenant de l’immédiateté, peut-être, voire de l’atopie, de l’achronie qu’on dit caractériser le processus primaire ("je ne savais plus bien ou j’étais", dira par exemple le patient - "cinq minutes ou une heure, je suis incapable de dire combien ça a duré"...) - lieu hors-lieu temps hors-temps peut-être (temps du songe, gîte où songer- et la présence du secrétaire libère les autres du souci d’enregistrer, leur permet de se laisser aller à leur rêverie), mais concédés par le socius, institués par des conventions préalables - ici et maintenant déterminés, balisés ailleurs, auparavant.

2 L’écriture, donc : une espèce de fil d’Ariane, comme le câble téléphonique qui relie au monde des hommes le plongeur dans sa cloche, ou le spéléologue exilé dans les entrailles de la terre.

L’assurance que ça communique, qu’on peut s’éloigner et en revenir : fil d’Ariane, fil du fort-da, de l’enfant à la bobine. Fil du il - ou du elle. Le patient - le sujet - s’écrit sous la main du greffier - du tiers : en troisième personne. Mais il me faut ici déplier quelque peu, développer si je puis dire ce dispositif métaphorique cette mise en scène de l’interlocution qu’est à certains égards l’enveloppement mouillé. Trois des protagonistes sont ici en contact : celui qu’on nomme le patient et deux des dits soignants. Contact physique, concret - celui des mains sur la tête, le visage, et d’autres mains sur les pieds du patient. Contact virtuel cependant, quasi contact des peaux séparées par l’infime épaisseur des draps - infime car elle épouse les formes, et se fait ainsi oublier. Synapse autorisant l’osmose si l’on veut, mais préservant de l’épanchement l’un dans l’autre. Ainsi de l’interlocution, du dialogue (Jakobson parle ici de la fonction de contact, qu’il nomme "pathique” du langage) - ainsi de cette activité synaptique (mais d’une synapse qui serait ici réversible) où la langue viendrait en somme en place du drap.

Façon de signifier aussi qu’il n’est pas besoin de parler pour être en contact verbal, pour être dans l’interlocution : le silence y suffit, il exalte même le contact, la dimension phatique de l’interlocution On imagine le drap mouillé comme feuille de silence...Et l’on se tourne maintenant vers le secrétaire de séance - on s’imagine en place de secrétaire : pour percevoir d’abord la distance, l’écart, l’hiatus qui s’est interposé, creusé en regard de ceux-ci, les trois en contact tactile (on remarquera au passage que cet achoppement ne constitue pas un pléonasme - car il d’autres contacts que tactile) - pour bien constater en effet que cette distance, ce hiatus ne coupent pas le contact mais le transposent, le font changer de mode et de registre.

De son pack le patient peut certes interpeller le secrétaire, tenter de l’engager dans un dialogue : tant qu’il est en cette place, le soignant ainsi interpellé (sauf exception à discuter en équipe) ne réagira pas, il ne se laissera pas entraîner dans l’échange du je et du tu - mais c’est le soignant "de tête" qui répondra par exemple à sa place ("tu vois bien : il écrit"), le désignant ainsi "en troisième personne". Cette troisième personne, ce il, et ce elle, c’est celui que les grammairiens arabes, rappelle BENVENISTE, notamment "l’absent" : absent du dialogue, de l’échange entre les deux "premières personnes", entre "je" et "tu" - celui dont on parle, dont parlent ceux qui parlent entre eux, scène primitive installée au coeur de l’interlocution (en fait, le fantasme de scène primitive figure, met en scène cette structure, - ce pourquoi, fantasme de l’origine, il est aussi considéré comme originaire).

Car cette "troisième personne", ce tiers dont la distance figure, met en scène l’hiatus irréductible, le saut qu’il y a du je/tu au il - ce tiers en place de il, absent du dialogue dans son irréductible proximité, dans sa présence physique même (visible, audible) - ce tiers occupe, dans cette mise en scène, ce qu’on pourrait appeler le lieu du il : ce lieu où le sujet du je/tu, le sujet du dialogue, vient à se représenter sous la forme d’un il.

Visible, audible : lieu d’où l’on peut être vu, entendu - mais lieu indéfini toutefois, puisqu’en ce lieu je demeure un il quelle qu’en soit la distance : serait-ce à des années-lumières qu’en ce lieu on parlerait de moi. On parle de moi... Lieu d’où je peux me voir donc, ou du moins m’imaginer. Lieu où le sujet, comme dit la grammaire, se réfléchit - où le je, le sujet grammatical, transmute en objet, en me, en moi (et tout aussi bien le tu en te, en toi - le sujet à qui l’on s’adresse en objet dont on parle).

3 "Vous parlez de moi..." : je m’adresse ici à ceux qui hantent ce lieu de l’absent, je les interpelle en tant que sujets - et en constituant ces autres comme vous, comme sujets dans un dialogue que j’initie, je me constitue en tant qu’objet, en tant que moi : ce il dont vous parlez entre vous et dans lequel je me reconnais.

Tel peut-être schématisé le miroir de l’interlocution. IL, l’absent.. Curieuse absence en vérité, où l’on peut se demander ce qui est re-présenté : bien avant d’être au monde, j’existais en tant que "il" Avant toute présence physique en ce monde,je me trouvais ici "représenté" - "pré-représentè", devrait-on plutôt dire. Présent en tout cas sur certain mode, plus fondamental peut-être que ma présence effective en ce monde, au monde et à moi-même. Bien avant ma naissance, on parlait déjà de moi - de tout temps peut-être, depuis (peut-être) que les hommes parlent, car le il ou je m’inscris est d’abord celui des généralités : dire que le corps humain comprend une tête, un tronc et quatre membres, c’est déjà parler de moi.

De tout temps, de temps immémorial en tous cas, je suis inscrit dans un univers de représentations. Je souligne ces mots : immémorial et inscrit, car la mémoire est essentielle à l’écrit. Si les représentations collectives, celles qui constituent le monde du sujet à venir, peuvent se transmettre par voie orale, seul l’écrit peut être archivé, scellé, faire référence : mémoire-témoin, mémoire historienne. On parle d’histoire lorsque apparaît l’écriture, et on ne s’est peut-être pas assez interrogé sur ce qui ressemble d’abord à un paradoxe : les sociétés de tradition orale évoluent très lentement, elles restent comme engluées dans la tradition - c’est comme si l’écriture libérait d’un corset, autorisait une liberté de mouvement, de changement.

C’est peut-être (on peut beaucoup gamberger là-dessus) - c’est peut-être comme la station debout libère les mains pour d’autres tâches, l’écriture libère la pensée de la corvée de mémoire : de remâcher et de retransmettre le monde des aînés, sans quoi le monde, dans les sociétés sans écriture, risquerait évidemment fort de se casser la gueule. C’est peut-être que l’écriture humanise le temps - qui n’est plus désormais celui du cosmos mais celui des hommes, le temps de l’histoire : l’écriture désacralise le temps. Elle le met en tout cas au service du pouvoir : le scribe est instrument du prince, du propriétaire, du marchand du maître.

4 Que les représentations collectives soient au service du pouvoir, qui pourrait aujourd’hui en douter ? Des pouvoirs, peut-être, car le pouvoir s’est quelque peu fragmenté dans les sociétés démocratiques modernes.

Mais en ce qui concerne mon propos d’aujourd’hui, ceci est après tout secondaire : je suis médecin, je parle thérapie, ce sont au premier chef les représentations médicales et scientifiques qui sont ici en question - les représentations des biosciences et des sciences humaines, celles où je m’inscris, anonymement, dans ma généralité - comme objet de savoir, champ de pratiques, unité statistique...

Qui pourrait nier que le corps médical, le communauté scientifique, l’administration de la santé, le sens commun, le socius, que sais-je ? (je ne saurais même dire qui) - exercent sur moi un terrible pouvoir, une contrainte terrifiante quand j’y songe. Car ce moi ou j’ai à me reconnaître, c’est aussi, quotidiennement, dans cet univers de représentations collectives, que j’ai à en repérer les formes. Que dis-je ? c’est de cet univers que, quotidiennement, des images de moi me sautent au visage, m’agressent, me colonisent, me possèdent, me squattent sans me demander mon avis. Qui dit pouvoir dit lutte. Lutte pour le pouvoir, lutte contre le pouvoir. Lutte pour affranchir, pour asservir - les deux étant, comme nous avons amèrement appris, difficilement dissociables. L’écrit est, en ce qui concerne les représentations collectives, le lieu par excellence de cette lutte. Même si (on ne manquera pas de me l’objecter), même Si le pouvoir se combat ici, et se conquiert aussi à la tribune, dans les colloques, les congrès, les symposiums, les lieux de parole instituée(mais de cette parole il reste ce qu’on appelle des actes, et c’est dans l’écrit que tel congrès prendra stature d’événement, fera date dans l’histoire des idées).

Même si l’image audio-visuelle prend aujourd’hui une place expansive dans l’univers des représentations collectives (mais l’image se double, se leste de ses commentaires - et la parole enregistrée peut-être considérée, à plusieurs égards, comme une forme d’écrit). Terrain de ces luttes de pouvoir, de ces conflits de représentations, de cette mémoire chaotique, de cette histoire entrain de se faire : la psychiatrie actuelle, et tout aussi bien le champ foisonnant et apparemment confus des psychothérapies. Assez incroyable kaléidoscope, aujourd’hui, où j’ai à me reconnaître parmi les représentations, les modèles, les images parfois incohérentes que charrient les discours ambiants, et les pratiques qu’ils arment et justifient.

Le packing (et il partage cette vertu avec quelques autres dispositifs thérapeutiques) - le packing est pour moi occasion aménagée de mettre un peu tout ça entre parenthèses, et de reprendre les choses à la racine, au voisinage d’un zéro de la représentation. Ce qui importe pour moi dans cette technique, c’est d’aménager ce que Masud KHAN et OURY appelle une jachère, un espace aussi peu meublé que possible, aussi peu encombré que possible (à l’inverse de notre espace de vie habituel) de représentations, d’images, de théories de toutes sortes - de grilles de lecture où le moindre événement qui émerge en thérapie, à peine a-t-il pointé le bout de son nez que l’on sait déjà de quoi il s’agit, comment ça s’appelle et ce que ça veut dire.

Étouffoir de la représentation qui vous met vite en anoxie, qui vous pompe l’air au point de ne plus trouver le souffle qui nourrit les mots et les articule. A récuser formellement pour faire des packs : le lacanien avec ses graphes, le bioénergéticien avec ses anneaux ou ses çakras, qui d’avance ont enfermé dans leurs constructions théoriques ce corps qui palpite et balbutie, et le sujet qui s’essaye à l’habiter. Ce qui ne peut se faire, lorsqu’il s’agit de psychotiques ou de malades travaillés par des problèmes très archaïques, qu’au contact (aménagé, institué, ritualisé) d’autres corps parlants - que dans un dispositif, une mise ne place analogique de quelques fonctions constituantes précisément articulées, une autre scène où va pouvoir se répéter, se reprendre, se rejouer, dans la contingence vivante de l’ici et maintenant (se rejouer autrement, donc), quelque chose de ce qui, supposons-nous, s’était autrefois mal passé : en dire plus serait abusif et inopportun, car ce serait déjà installer sur la vacance de cette scène, dans cette jachère que nous nous évertuons à préserver, des constructions théoriques, des représentations qui viendraient la semer d’ornières.

5 Aussi bien l’expérience montre-t-elle que lorsqu’un patient évolue cliniquement au cours d’une série de packs, au point d’aller mieux de l’avis général, et du sien en particulier - la plupart du temps personne ne peut dire ce qui s’est réellement passé au point de vue psychodynamique :

les constructions théoriques qu’on ne manque pas de faire de cette évolution peuvent certes être importantes pour le moral des soignants, voire pour la constitution de l’équipe, mais on a l’impression qu’elles ne mordent pas vraiment sur l’essentiel, qui a dû se jouer en sous-oeuvre. Et pourtant : pourtant nous vivons dans un monde de représentations, un monde en représentation, où au sortir du pack le patient aura à vivre lui aussi, à trouver tant bien que mal sa place et son chemin, et à supporter aussi tout ce qui déboule sur lui d’images et de signifiants qu’il est plus ou moins sommé de faire siens, sauf à s’en démarquer, ce qui revient au même.

Un monde de représentations hétérogènes, incohérentes, chaotiques - heureusement dirai-je, bien que cela pose parfois des problèmes : un monde carnavalesque où la sorcière Paranoïa vient proposer sa tentation unificatrice, centralisatrice, compréhensive, totalisante. Miroir du sujet que cent doctrines parallèle ne cessent de disputer, avec des succès locaux, à l’impérialisme de la Médecine. Une psychothérapie qui se veut psychanalytique, comme celles que je m’efforce de promouvoir, n’a pas à ouvrir boutique dans cette foire, à prendre parti dans ce tohu-bohu : la difficulté est de se situer en marge, c’est-à-dire dans une position qui ne soit ni dans, ni en-dehors.

Témoin de ce difficile positionnement, toujours instable, toujours précaire - le secrétaire qui, avec son bloc et son crayon à bille, note au cours de la séance de packing ce qui pour lui semble faire événement. Comme il peut, ce qu’il peut, ce qui peu distinctement émerge et naît là de cette écume relationnelle, il le griffonne et l’inscrit consciencieusement, laborieusement sur ses tablettes, sachant que ce matériel devra être livré, restitué au monde de la représentation en marge duquel il s’est provisoirement (et autant que faire se peut) retiré - et qu’il y parlera peut-être à d’autres : que ce qui s’exprime la, par exemple, de l’existence psychotique, d’autres auront du moins à l’entendre, et à se débrouiller avec comme ils pourront - peut-être en le théorisant, peut-être en révisant leurs représentations théoriques, peut-être en ouvrant une espèce d’inquiétude dans des constructions réputées jusque-là antisismique...

Témoin, sur la scène de la thérapie, de l’univers de fictions et de convictions qui nous permettent de vivre tant bien que mal, dans notre société, en présence proche du réel, l’homme de plume devient alors, peut-être, dans cette société, un témoin de ce scandale permanent, irrémissible, que constitue jusque dans la théorie l’existence psychotique, ou autistique - et tous aussi bien celle des grands alcooliques, des toxicomanes et de quelques autres, un peu plus paumés que la moyenne dans ce que RILKE nommait le monde interprété.

Roger GENTIS

http://pagesperso-orange.fr/cliniquedelaborde/Auteurs/GENTIS%20roger/texte1.htm



09/07/2012
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