Edition : Contes de la folie ordinaire
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«Après le diabète, les maladies d’Alzheimer, c’est au tour de l’autisme d’être l’objet d’un discours qui ne repose, quelle que soit la qualité de ses signataires, sur aucun véritable critère scientifique validé», estime Patrick Alary, psychiatre des hôpitaux et président de la commission scientifque de la Croix marine (fédération d'aide à la santé mentale) à propos des dernières recommandations de la Haute autorité de santé.
«Après le diabète, les maladies d’Alzheimer, c’est au tour de l’autisme d’être l’objet d’un discours qui ne repose, quelle que soit la qualité de ses signataires, sur aucun véritable critère scientifique validé», estime Patrick Alary, psychiatre des hôpitaux et président de la commission scientifque de la Croix marine (fédération d'aide à la santé mentale) à propos des dernières recommandations de la Haute autorité de santé.
La Haute Autorité de Santé a tranché et le verdict est tombé : «la HAS et l’Anesm sont formellement opposées à l’utilisation» du packing.
Mais, au-delà de ces mises à l’écart, le packing étant le bouc-émissaire sacrifié sur l’autel d’un compromis à l’évidence politique, c’est toute une nouvelle manière de considérer les prises en charge qui est ici mise en évidence : cette manière est fondée, paradoxalement et malgré les affirmations contraires réitérées sur ce plan, non sur la science mais sur un consensus de convictions scientistes ou idéologiques s’appuyant sur les seules « méthodologies de preuves évaluables par quantification et généralisation » (1).
Constatons, également, que pour la première fois dans une démocratie, une autorité publique (2) décide de bannir pour « non pertinence » la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle de l’aide et du soin de personnes atteintes d’une affection accompagnée de trouble et de souffrance psychiques.
Reprenons le texte de la Haute autorité sur le packing : « en l’absence de données relatives à son efficacité ou à sa sécurité, du fait des questions éthiques soulevées par cette pratique et de l’indécision des experts en raison d’une extrême divergence de leurs avis, il n’est pas possible de conclure à la pertinence d’éventuelles indications des enveloppements corporels humides (dits packing), même restreintes à un recours ultime et exceptionnel. En dehors de protocoles de recherche autorisés respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) (3), la HAS et l’Anesm sont formellement opposées à l’utilisation de cette pratique (4) ».
Ainsi donc, l’H.A.S. est opposée à une pratique dont elle recommande malgré tout l’usage dans le cadre de protocoles de recherche visant à en valider, éventuellement, l’utilisation... Il s’agit, sous une forme rappelant la casuistique jésuite, d’une injonction paradoxale : je vous interdis les moyens de prouver scientifiquement ce que vous avancez… En effet, avec une telle recommandation, comment les parents se risqueraient-ils à accepter une telle pratique dans un protocole de recherche pourtant autorisé ? Cela revient, de fait, à interdire et le packing et la recherche sur le packing et ce au nom des « questions éthiques soulevées par cette pratique » alors même que d’autres, comme la méthode ABA, sont elles aussi contestées, pour les mêmes raisons, par d’éminents scientifiques (« De nombreux gouvernements subventionnent pourtant toujours ces thérapies, qui coûtent jusqu’à 60 000 dollars (45 000 euros) par an et par enfant, sous l’influence de groupes de pression. M. Mottron s’inquiète pour sa part d’un possible soutien gouvernemental français à l’ICI. La Haute Autorité de santé a en effet commandé un rapport sur ces méthodes qui lui semble biaisé en leur faveur : “ En favorisant l’ABA (Analyse Appliquée du Comportement) pour contrer la psychanalyse de l’autisme, on passe du tsar à Lénine !”, dénonce le psychiatre-chercheur canadien Laurent Mottron ») (5).
C’est une autiste, Michelle Dawson (6), chercheuse nord-américaine réputée, qui s’en prend à l’ICI (7), préconisée en Amérique du Nord. En 2004, Mme Dawson a publié, sur le web, un plaidoyer sur le manque d’éthique de cette technique et critique maintenant la mauvaise qualité des travaux en intervention : « La littérature sur le sujet est énorme en quantité mais pauvre en qualité scientifique. » Michelle Dawson dénonce également l’adoption de « standards éthiques et de recherche beaucoup plus bas » que la normale et se demande« pourquoi les autistes vivent des discriminations même dans ce domaine ». Nombreux sont les rapports de recherche qui vont aujourd’hui dans le même sens qu’elle : selon l’Académie américaine de pédiatrie, « la force de la preuve (en faveur de l’efficacité de ces techniques) est insuffisante à basse. (8)»
Rappelons que la science n’est pas un dogme, « toute connaissance est issue d’un processus de construction, processus qui consiste en une réorganisation qualitative de la structure initiale des connaissances et qui peut s’assimiler à un changement de conceptions [3] ». Pierre Delion rappelle que « [les scientifiques]savent bien qu’avant de pouvoir démontrer quelque vérité scientifique que ce soit, le chercheur émet des hypothèses abductives (j’ai l’intuition que) puis conduit ses recherches pour tenter de démontrer de façon déductive et inductive les hypothèses émises. S’il n’y avait pas d’abord des intuitions basées sur la clinique, aucune découverte n’aurait pu être faite en médecine, ni a fortiori démontrées dans le cadre de l’Evidence Based Medicine. » C’est la base même de la recherche expérimentale.
La vérité, c’est que les “Bonnes pratiques” se construisent aujourd’hui comme la nosographie moderne. Elle fournit certes un substrat d’évaluation des nouvelles molécules et de protocoles de recherche, définitions elles-mêmes de compromis et non dénuées de conflits d’intérêt comme l’a encore montré la tentative récente d’introduire le deuil comme une pathologie authentique. La vérité, c’est que la nosographie, Edouard Zarifian le dénonçait en 1996, est trop souvent confisquée par l’industrie pharmaceutique, « Ce rapport met notamment en cause, la surprescription des psychotropes par les médecins généralistes ainsi que la trop grande convergence entre le savoir dispensé par l’université et celui que diffuse les laboratoires pharmaceutiques dans le cadre de leurs opérations de marketing. Cette particularité, relève le Pr Zarifian (9), serait propre à la France », dénonciation qui ne lui pas valu que des amis et au nom de laquelle il recommandait « un éclectisme méthodologique ». L’histoire du trouble du déficit de l’attention montre à quel point il avait raison (10). Les recommandations de l’HAS, tout en récusant habilement les plus farfelues d’entre elles, ont pour objet de donner un fondement considéré comme scientifique aux interventions éducatives, comportementales et développementales individuelles selon le modèle anglo-saxon dominant.
On peut le vérifier dans l’amalgame fait dans ces recommandations au sujet de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle (11): « l’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur : - les approches psychanalytiques, - la psychothérapie institutionnelle ». Cette formulation rappelle le « Va, je ne te hais point » de Chimène à Don Rodrigue (12). Le texte lui-même montre une profonde méconnaissance de ce que sont ces outils, situés négativement du côté du soin, et de ce que convoquent constamment l’une et l’autre, la singularité de la personne humaine et de sa psyché. Elles rappellent ce qu’Hannah Arendt formulait en son temps, « la possibilité pour les hommes d'agir c'est-à-dire de se rapporter aux autres par des actes ou des paroles… La parole échangée, discutée, débattue qui permet d'unifier la pluralité humaine ». Doit-on, après ces recommandations, considérer que la personne autiste ou souffrant de TED ainsi que sa famille sont dépourvus de psyché ? Doit-on refuser un outil qui permet aux équipes de mieux prendre en compte les interactions, entre patients, entre patients et soignants, entre soignants et familles et au sein même de ces familles ?
Edwige Antier a rappelé récemment, en réponse à la proposition de loi du député Daniel Fasquelle, que « les personnes “autistes” doivent avoir le droit de bénéficier de toutes les ressources de la médecine, de la psychiatrie et de la psychologie ».
(13) Rappelons là encore que cette recherche a été validée dans son objet et son protocole par le Comité de Protection des Personnes du CHRU de Lille, recherche menée dans le cadre d’un Programme Hospitalier de Recherche Clinique National (PHRC), validé en 2008 (PHRC 2007/1918, n° Eudra CT : 2007-A01376-47), financée par le ministère de la Santé et dont le thème est « L’efficacité thérapeutique du packing sur les symptômes de troubles graves du comportement, notamment les automutilations, des enfants porteurs de TED/TSA ».