L’homme est d’ordinaire discret, en retrait même, fuyant les médias comme les déclarations publiques. Le professeur David Cohen occupe pourtant une position importante. Il dirige la plus importante unité de pédopsychiatrie en France à l’hôpital la Pitié-Salpêtrière. «D’habitude, nous dit-il, je me tais, j’ai bien d’autres choses à faire. Mais là, me faire traiter de maltraitant par une secrétaire d’Etat, cela suffit. Jamais je n’ai été confronté à une décision et à des propos aussi stupides.»

David Cohen est en colère. Dans la grande Revue de neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, il est sorti de son silence pour publier un édito au vitriol, sous la forme de lettre ouverte au président de la République. «Je tiens à vous faire part de mon écœurement à voir une secrétaire d’Etat de votre gouvernement [Ségolène Neuville, en charge du handicap, ndlr] déclarer qu’un soin que mes équipes et moi-même pratiquons est une maltraitance à enfant.»

L’objet du délit ? Le packing. Une pratique de soins qui consiste à envelopper dans des draps humides des personnes, en règle générale, en situation d’agitation ou d’automutilation, pour essayer d’apaiser et de contrôler ces troubles du comportement. «Quelles que soient les polémiques concernant ce traitement, il relève surtout de la thalassothérapie et du soin adjuvant, et il n’est proposé qu’à quelques enfants et adultes chaque année», explique le professeur Cohen. Des enfants très atteints, pour la plupart s’automutilant gravement.

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Bref, rien à redire, en tout cas pendant plus de vingt ans. Mais voilà, depuis quelques années, certaines associations de parents d’enfants autistes ont pris cette technique en fureur, la classant comme l’exemple emblématique de la maltraitance de la psychiatrie publique dans la prise en charge de leurs enfants autistes. Il est vrai qu’il y a un passif, et le contentieux est fort entre certaines associations de parents et certains psy sur l’autisme. Les premiers accusant les seconds de culpabilisation et d’incompétence, ces associations cherchant à faire entrer l’autisme dans le champ du handicap et non plus de la maladie mentale.

Sur le packing, ces associations se sont montrées d’une agressivité extrême : elles ont cherché à saisir l’ONU pour dénoncer le packing comme acte de torture, accusant nommément certains praticiens. «Ils veulent diffuser la terreur, lâche le professeur Pierre Delion, chef du pôle de pédopsychiatrie à Lille. Mais ce qui est terrifiant, c’est que la Haute Autorité de santé, puis la secrétaire d’Etat ont endossé ce combat», poursuit, furibard, le professeur David Cohen.

Dans sa lettre ouverte, David Cohen explique et se défend: «En novembre 2013, mon service a été visité par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mon service d’enfants et d’adolescents ayant 67 lits temps plein dans des unités toutes fermées à clé, il est normal que le contrôleur général des lieux de privation de liberté s’en préoccupe. Il se trouve qu’alertés sur la question du packing ils ont aussi étudié de manière beaucoup plus approfondie cette pratique, puisque les 4 inspecteurs sont restés une semaine dans mon service. Leur rapport a été rendu public en 2016. Je cite : "Le respect des droits des enfants et des adolescents, en qualité de patients et de citoyens est une préoccupation affichée et partagée par l’ensemble de l’équipe". Plus loin : "la pratique du packing a fait l’objet d’études et d’évaluations de l’équipe médicale tant du point de vue thérapeutique qu’éthique. Il apparaît qu’elle est mise en œuvre avec discernement dans le respect du bien-être du patient, exclusivement sur prescription médicale, et avec l’accord des parents"».

 

Fin de l’épisode ? Nullement. Le mois dernier, Ségolène Neuville, la secrétaire d’Etat en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, dont certains membres du cabinet sont très proches de ces associations, a publié une circulaire interdisant le packing. Ahurissement de David Cohen, qui, au passage, est un des chercheurs qui publie le plus en France dans les grandes revues scientifiques. «Je n’accepte pas qu’une secrétaire d’Etat dise que mes équipes et moi-même maltraitons les enfants alors qu’il est de notoriété publique que nous recevons dans mon service les malades les plus difficiles, alors que le comité de lutte contre la torture n’a pas souhaité instruire de plainte après la visite informelle sur cette question, et alors que le contrôleur des lieux de privation de liberté a tenu à préciser dans son rapport la qualité et l’éthique de travail de mon équipe.»

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Il conclut : «Au total, il s’agit de polémiques, de sensationnel, parfois de diffamation, de préjugés concernant une pratique qui est marginale, qu’on devrait qualifier de "thalassothérapie" à l’hôpital, et dont la mise en cause évite de parler des vrais problèmes : démographie catastrophique de la discipline ; niveau de formation indigne des professionnels de santé ; sous rémunération des collègues paramédicaux ; non-remboursement de nombreux soins réalisés en privé faute de place ; guerre des associations car le médico-social s’est transformé en un marché qui conduit au retard d’ouverture de dispositifs annoncés et financés ; conflit d’intérêts et menace dans certaines attributions ; absence de recherche clinique structurelle malgré des investissements substantiels de l’Etat détournés vers la recherche fondamentale».

Des propos de bon sens. Faut-il rappeler que la pédopsychiatrie en France est dans une situation de disparition, avec dans la période 2000-2020 une baisse de 50% des praticiens ? Les autorités sanitaires sauront-elles mettre un terme à un conflit aussi stupide que catastrophique ?

Eric Favereau