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AUTISME : UN ARRIÈRE-FOND HISTORIQUE AUX CRITIQUES CONTRE LA PSYCHIATRIE ET LA PSYCHANALYSE

http://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/040614/autisme-un-arriere-fond-historique-aux-critiques-contre-la-psychiatrie

 

 

Autisme : un arrière-fond historique aux critiques contre la psychiatrie et la psychanalyse

Il y a un écart entre le rôle joué par la psychiatrie et la psychanalyse dans l’accompagnement des personnes autistes, en réalité très partiel, et la représentation dominatrice qu’en donnent certains de leurs partisans ou leurs adversaires. Aussi, ces deux disciplines, bien qu’elles soient distinctes et traversées chacune par divers courants, entretiennent chez des parents la crainte d’une emprise corporatiste au détriment des parcours de vie de leurs enfants.
En France, c’est pourtant la pédopsychiatrie qui a joué le rôle d’initiateur anti-asilaire entre 1955 et 1975. Elle était alors inspirée par les idéaux de la psychanalyse pour « la réhabilitation du sujet ». Ensuite, c’est aux parents qu’est revenu le maintien d’une radicalité anti-asilaire, retournée contre ces disciplines.
Car depuis les années 80, tantôt en duo, tantôt séparées (voire opposées), elles n’ont pas toujours accompagné avec discernement les évolutions et les exigences familiales et sociales d’une modernisation. Celle-ci a élargi le plateau technique utile, bien au delà du « soin » et du médicament, et bien au delà d’accompagnements institutionnels fragmentés, de l’enfance à l’âge adulte, entrecoupés d’abandons et de rejets sociaux.
Tant que des discours venus de la psychiatrie ou de la psychanalyse prétendront à une suprématie sur les causes de l’autisme ou sur les parcours de vie des personnes, ces professions susciteront de l’hostilité. Elles devraient maintenant délimiter leur exercice nécessaire à leur juste place.
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Comment dépassionner un débat sur ce sujet ? Pour y contribuer, j’ai retracé lors du colloque des 28 et 29 mars 2014 « La psychanalyse dans les institutions psychiatriques et sociales » organisé par l’Université Paris VII-Paris Diderot et l’Association l’Elan Retrouvé, des éléments sur l’évolution de l’accompagnement des personnes autistes de tous âges, une histoire dans laquelle je suis immergé depuis trente ans.

I. En France, la pédopsychiatrie et la psychanalyse initient le combat anti-asilaire (1955  - 1975)
 
1. Un changement du regard qui rallie les premiers parents militants à la pédopsychiatrie.
 
La description clinique de l’américain Leo Kanner en 1943 a été  le moteur de la séparation des autistes du groupe des « arriérés ».  En 1959, c’est un article fameux (de Diatkine, Stein et Kalmanson)[1] qui annonce en France leur extraction "du magma des encéphalopathies ». 
A la notion de manque, de déficit se substitue celle d’un "trouble de la personnalité ».  On déplace la recherche de la cause, « l'hypothèse étiologique », de l'organogenèse vers la psychogenèse. D’où un changement du regard : à la place d’une pauvre chose incomplète, d’un cerveau plus ou moins vide, d’un objet à réparer, à supporter, d’un Q.I. isolé, on voit une personnalité, un sujet souffrant et agissant, participant de relations historiques, passées, actuelles et à venir, et notamment familiales. Cette vision a rendu possible des stratégies relationnelles, affectives, intégratives, et elle a mobilisé contre l’exclusion asilaire. 
 
Le jeune Roger Misès introduit, à la Fondation Vallée du Val de Marne, une première révolution pour des enfants entassés dans les salles communes par dizaines. Il embauche des éducatrices aux côtés des infirmières. Elles  leur ôtent leurs uniformes, les habillent  et les coiffent pour les sortir hors des murs. Cet accompagnement nouveau, qui semble aujourd’hui bien modeste, a lancé un immense mouvement. Pour moi, ce geste de Mises envers les enfants s’apparente à celui, légendaire peut-être, de Pinel « ôtant leurs chaines aux fous » dans les asiles du 18ème siècle. Bien des innovations actuelles lui sont redevables, y compris les nôtres.
 
Cette réhabilitation des enfants autistes comme sujets, susceptibles d'évolution clinique et d'intégration sociale poursuit les idéaux de la psychanalyse. Mais, dans un retour sur ce passé, Stanislas Tomkiewicz nous disait dans les années 90 : « Cette option n’entraîne pasépistémologiquement le déplacement de l’hypothèse étiologique». 
 
C’est à dire que promouvoir les idéaux de la psychanalyse n’impliquait pas forcément  que son principal outil théorique, la psychogenèse, fut appliquée à l’autisme. La tentation était grande cependant. Et, avec le temps et la vulgarisation, tout fut rabaissé à une explication commode : les parents sont responsables. Kanner reconnut plus tard (presque 30 ans plus tard, en 1972) sa propre influence sur cette erreur. Dans sa description princeps de l’autisme infantile, il avait confondu la capacité de décrire les symptômes avec distance et objectivité (chez des parents qu’il sélectionne pour leur objectivité pendant ses interviews) avec « une froideur envers leurs enfants ».[2]
 
En France, la pédopsychiatrie a donc orienté le changement d’optique anti-asilaire. En Europe du Nord et dans les pays anglo-saxons, l’humanisation a suivi d’autres filières, notamment celles de l’Education ou de l’Aide Sociale. N’oublions pas alors la base matérielle de ces différences : c’est la protection sociale à la française et « l'obligation de soins » (dans ce sens que l’Etat doit des soins égaux à tous) qui font de l’hôpital la ressource ultime par défaut. Et c’est le mérite de la pédopsychiatrie d’avoir innové par des prises en charges intégratives à partir de services recueillant par obligation ces enfants déchus, exclus de la société et de leur famille.
 
Dans la décennie suivante, ce sera donc, dans le secteur public,  le XIIIe Intersecteur de Paris (avec les Prs Diatkine et Lebovici), l’Institut Théophile Roussel du 92, le Pradon du 91 (avec Tony Lainé) qui innove avec déjà l’intégration scolaire de petits très déficitaires.  Dans le secteur associatif, des parents en lien avec Serge Lebovici créent des Hôpitaux de Jour privés pour que les autistes restent en famille. C’est entre 1963 et 1970 que sont créés nos Hôpitaux de Jour de Sésame Autisme (transférés à l’Elan Retrouvé en 2008). 
 
A cette époque, la psychiatrie a un vrai pouvoir, elle organise des parcours intégratifs pour des enfants et elle est le principal interlocuteur à la D.G.S. et de ses bureaux ministériels de la Santé.
Dans le champ du handicap, cette volonté d’intégration apparaît aussi avec la Loi cadre de 1975 « en faveur des handicapés » , par laquelle  la D.A.S. et ses bureaux de l’Action Sociale répondent au mouvement d’associations de parents traditionnelles comme la grande UNAPEI.[3] 
 
C’est parce que les autistes ne sont pas distingués des autres handicapés par cette Loi et par l’UNAPEI que la pédopsychiatrie devient la référence des premiers parents d’autistes organisés. C’est la psychiatrie, la « santé » plutôt que « le handicap », qui est alors suivie par ces parents militants.
 
2. Quarante ans plus tard : une remise en cause accablante
 
Comparons ces prémisses avec, quarante ans plus tard, sa mise en cause par de nombreuses associations, des forums sur internet, certes  hors de contrôle, mais aussi par des reportages, des journaux et magazines, la Haute Autorité de Santé et les cabinets ministériels.
Considérons aussi quelques symptômes sociétaux, fussent-ils manipulés. Comme cette extravagante manifestation de parents  il y a peu qui fustigeait dans la rue le nom d’un pédopsychiatre psychanalyste. Ou le procès contre le packing de Pierre Delion, présenté faussement comme l’alliance monstrueuse d’un châtiment corporel asilaire et de la psychanalyse.
Dans son discours de clôture des assises de la psychiatrie médico-sociale en 2009, Pierre Delion incite vigoureusement à réfléchir sur les raisons d’une colère qui motive de tels abus, sans négliger ce qui, dans nos propres actions, aurait de quoi susciter de tels mouvements.
 
Examinons alors les grandes vagues de la révolte militante des parents d’enfants autistes des années 60 à 2010, pendant lesquelles la psychiatrie perd progressivement la confiance des associations de parents et peu à peu une part importante de son influence dans le territoire de l’autisme, dans l’espace du diagnostic, de la prise en charge, de la nosographie et de la clinique.
 
II. Les vagues successives de la révolte des parents de 1960 à 2010.
 
En cinquante ans, les  générations successives de parents qui s’adressent aux politiques ne cessent d’entrer en dissidence avec leurs aînés : les professionnels sont loin d’être les seuls contestés.  Je distinguerais au moins trois vagues dans ces confrontations entre 1960 et 2010. Depuis, une quatrième semble être en cours.
 
1. Dans les années 60, les parents de Sésame Autisme quittent l’UNAPEI.
 
Les pionniers de Sésame Autisme se lient à la pédopsychiatrie comme l’indique le nom de leur premier groupe : Association pour les Inadaptés ayant des Troubles de la Personnalité (ASITP).  En 1963, l’hôpital de jour pour enfants Santos-Dumont de Paris en est le premier exemple national. Mais dès 1970, en créant un Hôpital de Jour pour adolescents, celui d'Antony, ces mêmes parents, avec Françoise Grémy, tiennent tête à ce qui semble déjà un recul de la psychiatrie. Ils poursuivent la réhabilitation des autistes en famille pendant et après leur adolescence [4]  et contrecarrent ainsi une idéologie qui pousse derechef à la séparation familiale, cette fois semi - précoce, bien incarnée par l’Ecole de Bonneuil de la psychanalyste Maud Mannoni.
 
La matrice de ce premier recul de la profession (sur le plan du maintien des enfants dans leur famille, moteur de sa mobilisation initiale) est qu’elle avait cru guérir les enfants autistes de « leurs troubles de la personnalité » par des « soins intensifs » inspirés par la psychanalyse. Or, devenus adolescents ils ne sont pas guéris. En fait ils sont plus lourds, plus costauds et la sexualité les envahit. Comme la psychiatrie est bien capable de le faire, elle va transférer sa frustration d’une impasse technique et de son manque de moyens en une vague théorie. On préconise la séparation car maintenant les parents seraient cause de la persistance des troubles : ils seraient « incapables de contenir ces jeunes », un leitmotiv qui revient dans les dossiers-patients, les articles et les études de l’époque [5].
On oriente alors beaucoup les jeunes vers les internats du « médico-social » ou vers une zone intermédiaire,  « les lieux de vie » à la campagne, un déversoir en grand développement dans les années 70 partout en France. On les y envoie aussi en accueil temporaire, qu’on appelle séjour « de rupture » : le terme est évocateur de ce qu’on pense encore de la famille.
 
C’est à cette époque que les adolescents autistes entrent dans un « no man’s land » entre le sanitaire, le médico-social et le social. Cinq mille d’ entre eux sont accueillis « nulle part » selon le rapport d’enquête de l’I.G.A.S. de 1994. Une moitié sort des I.M.E. et l’autre des Hôpitaux de jour pour enfants. En volume, le médico-social et la psychiatrie ont une part égale dans ces rejets. Tandis qu’on reste aveugle à ces conséquences des tranches d’âge limitées dans les institutions, à ces abandons et ces errances des enfants et de leurs parents, un autre concept justificateur se répand, celui de « la discontinuité thérapeutique ». En ne prévoyant pas une suite institutionnelle à leur parcours, on donnerait une meilleure chance à ce que leurs capacités ou leurs désirs émergent : établir une filière et des relais serait psychiquementenfermant. Or, c’est à cause de cette négligence que, devenus adultes, beaucoup seront de retour physiquement dans des services asilaires, reconstituant l’horrible « défectologie » des années 50. (Comme alternative, les déversoirs d’aujourd’hui les conduisent en Belgique).

En arrivant avec l’éducateur Driss El Kesri à Santos-Dumont en 1990 pour restructurer, à la demande des parents, ce centre pour enfants en un accueil pour adolescents et jeunes adultes, nous découvrons ses statistiques pour les orientations de sortie. La moitié est allée à l’Hôpital Psychiatrique, un quart en internat lointain et un quart on ne sait où. En 1990 c’est quand même plus de 30 ans après que fut claironnée la volonté d’« extraire les enfants de l’hôpital psychiatrique » [6] !

Avec le recul, peut-on supposer qu’à l’intérêt éthique de faire sortir les enfants de l’asile dans les années 60 se rajoutait, pour la pédopsychiatrie hospitalière, l’intérêt d’en sortir elle-même avec eux pour s’installer en ville, dans les « secteurs de psychiatrie », comme une aubaine. Une fois installée dans la cité, elle les a oublié à leur sort tandis qu’ils sont devenus grands, abandonnés ou mal orientés, souvent mal accueillis par la psychiatrie des adultes, parfois maltraités.
Ce sont ces parcours, ou le risque permanent de rupture dans les parcours, qui vont aiguillonner le ressentiment des parents. Il va maintenant grandir année après année.
Notons que c’est seulement en 2012 que la Recommandation de l’H.A.S. mettra ce point en exergue. Essentiel, il mériterait à lui seul qu’on soutienne le texte. C’est encore plus tard, en 2013, que le gouvernement légifère : condamné par la justice pour une situation individuelle[7], il rédige dans la précipitation « la Circulaire du 22 Novembre 2013 » consacrée aux ruptures de parcours pour les « situations complexes de handicap ».[8]
 
2. Dans les années 80, les parents d’Autisme France quittent Sésame Autisme.
 
Apres la dissidence des années 60 (celle de Sésame Autisme donc, qui s’est séparé de l’UNAPEI) est apparu dans les années 80  - 90 un autre embranchement, celui des jeunes parents d’ "Autisme France", qui se séparent  à leur tour de Sésame. Ils lancent un mouvement  pour l’éducation des enfants et pour l’intégration scolaire[9].
 
S’opère alors un déplacement du regard, inverse de celui des années 60.  Pour éliminer plus radicalement le risque asilaire, ce mouvement qui rassemble avec eux des professionnels et des administrateurs veut exclure  l’autisme du champ de la psychiatrie. Il l'argumente par la prééminence des "troubles de la cognition" sur ceux de la « personnalité », du handicap sur la maladie, de l’organogenèse sur la psychogenèse. La pédagogie comportementale, la génétique et la recherche sont mises au premier plan.
Les accusations antipsychiatriques sont parfois démesurées. Elles sont déplacées quand on prétend que la psychiatrie capte les autistes. Elle n’est qu’un élément historique du plateau technique, dont une composante est archaïque, le recours par défaut, et une autre est active et novatrice, répondant à la demande des familles[10].

Mais elles sont aussi une réaction au sentiment d’être abandonné et méprisé, à cause des sorties d’établissement sans aucune suite et du manque de places. Le rejet des demandes familiales par les politiques relaie l’indifférence de la psychiatrie  officielle (celle qui a l’oreille de la Direction Générale de la Santé) au sort des autistes qui ont grandi. D’autres petites associations, indépendantes et plus modérées, investissent la gestion de nouveaux centres.

Le changement que les psychiatres et les psychanalystes ne distinguent pas clairement alors est que la radicalité anti-asilaire est maintenant assumée par les associations de parents et non plus par les organismes professionnels ou institutionnels.

Et c’est seulement au bout de quinze ans que cette pression familiale et sociale va faire réagir le monde politique.  La Circulaire Veil de 1995, qui établit l’autisme comme priorité de santé publique dessine un nouveau protocole de coopération sanitaire, médico-sociale et éducative. Dorénavant, il y aura pour l’autisme en France un avant et un après cette Circulaire. 
Cette fois, la psychiatrie n’a joué qu’un rôle marginal. Ceux d’entre nous qui y participons viennent d’associations ou de certains services universitaires[11] ; ils appartiennent à des enclaves actives[12] mais isolées de la masse de la psychiatrie publique (les secteurs de psychiatrie) et de la D.G.S.
D’ailleurs, la psychiatrie « officielle » se montrera hostile : année après année, les recommandations sur les réseaux, le renouveau de la formation,  la constitution des  Comités techniques régionaux pour l’autisme, et enfin celle des Centre de Ressources Autisme en 2000,  tout ce qui va naître de la Circulaire sera ignoré voire boycotté dans un premier mouvement.
En 2005, elle accueille encore avec méfiance la Loi sur l’Education qui enfin donne un droit à l’école,  un droit « opposable » à l’Etat par les parents, ce qui pourtant prépare les nouvelles générations de citoyens à un meilleur accueil social du handicap.
Et même le dispositif le plus novateur de ces dernières années en psychiatrie, celui d’une unité d’urgence pour les Situations Complexes en Autisme, avec ses équipes mobiles, a reçu d’elle le coup de pied de l’âne lors de sa préconisation par le SROS régional en 2005. Un quarteron de pédopsychiatres syndicalistes et psychanalystes prétendait que si « on donnait son budget à leurs propres services, il n’y aurait plus de situations complexes… ».
Toutes ces réticences furent vaines évidemment parce que cette caravane passe malgré eux, légitime et inexorable.
 
3. Dans les années 2000, une troisième vague de parents amène d’autres pôles de revendications.
 
Entre temps, dans les années 2000, une troisième vague de dissidence, plus intraitable encore que les précédentes, est apparue. Les nouveaux parents militent pour la prise en charge ultra précoce des enfants, ce que des savoirs scientifiques récents rendent incontournable. Ainsi, ils espèrent une amélioration rapide qui rendrait crédible, et plus tard effective, l’inclusion scolaire et sociale revendiquée aussi avec vigueur.
     
Des groupes de travail de psychiatres et de psychanalystes investissent ce terrain qui modernisent leur approche: l’observation fine des bébés (comme le groupe PREAUT souvent cité, mais il n’ est pas le seul) ;  la liaison avec la neuro-psychologie, les neuro-sciences et la génétique (au CHU Necker) ; le partage avec la neuro-pédiatrie, la médecine fonctionnelle de Vasseur et la régulation tonico - émotionnelle de Bullinger venue de Suisse (notamment avec Delion à Lille et Livoir-Petersen à Montpellier).
 
Mais malgré eux les vieux démons « suprémacistes » s’imposent encore et encore. Tandis que les jeunes parents montrent dans les medias leur exaspération due aux mensonges d’état, à l’absence ou au retard quant aux moyens de la prise en charge précoce des petits autistes, ce que la psychiatrie dénonce peu (beaucoup moins que les associations[13]), des psychanalystes vont sur les mêmes ondes pontifier sur « les mères crocodiles » et « leurs fantasmes cannibales ». Le parallélisme des discours et le malentendu  sont à leur comble entre d’une part le ressentiment familial et social sur les parcours et d’autre part l’emphase de certains discours psychanalytiques emplis de jouissance littéraire ou de bons mots.
 
Pour finir, la psychiatrie publique presque entière lance une pétition inutile contre le plan autisme de 2013 au lieu de se mobiliser pour y apporter ses contributions de terrain et, à l’aune de son implication, ses correctifs. Ceux-ci seront nécessaires car la Recommandation de 2012 comporte quelques équivoques qui peuvent faire basculer certaines pratiques dans la violence et l’illégalité[14].
 
Mais pour cela, il lui faudra reconnaître que ce troisième plan n’altère nullement la condition des autistes. Elle a progressé en 20 ans depuis la circulaire de 1995. Les mouvements positifs qui étaient à l’œuvre avant le plan 2013 le seront encore après lui, irréversibles. A l’ancienne suprématie des services de la psychiatrie et du handicap se substitue la sélection de leurs prestations seulement quand elles sont utiles. Une nouvelle médecine exploratoire, génétique  et neurologique, a imposé ses contributions[15]. Les carences d’éducation et de scolarité sont compensées peu à peu et la pédagogie continue d’inventer des outils nouveaux. Pour ce qui est de la culture, de la sexualité,[16] de l’insertion professionnelle et de l’habitat, il n’existe que quelques expériences innovantes, mais l’ensemble du plateau technique est maintenant bien connu et recommandé. Nulle corporation ne devrait tourner le dos à ce vaste chantier parce qu’elle ne reçoit pas exactement ce qu’elle pense mériter.
 
4. Depuis 2010, est-ce une quatrième vague ?

J’ai commenté précédemment la responsabilité des politiques et des administrations, notamment depuis 2012 [17]. Rappelons seulement qu’après une période de déni, celle des années 80, il y eut dans les années 90 la reconnaissance de l’ autisme comme priorité de santé publique, et que, entre 2010 et 2014, on observe des embardées erratiques et des manipulations dans les ministères, de Sarkozy puis de Hollande,  en interaction avec une quatrième vague de contestation parentale. Des regroupements s’établissent temporairement autour d’approches qui s’autoproclament souveraines ou uniques. Mais derrière cette façade d’unité, une guerre commerciale féroce, notamment pour dispenser des formations,  aiguise des surenchères et des rivalités y compris entre associations familiales.
C’est le discours de la ministre Marie-Arlette Carlotti en juin 2013 sur « les méthodes qui marchent » et qui « seules seront financées »  qui leur a frayé un chemin. Cette bévue s’est abritée derrière la dernière Recommandations de la HAS.  Après celle de 2005 (pour les diagnostics), consensuelle, celle de 2012 (pour les pratiques) a valorisé à l’excès  des « preuves scientifiques» très contestables, afin de donner cette fois la suprématie à des approches comportementales. Cette capitulation devant des lobbyings est à la source d’abus qui imposeront sans doute des arbitrages juridiques. Nous savons cependant que les personnes autistes, qui présentent une grande diversité, vont résister aux tentatives d’uniformiser les accompagnements .
 
III. En conclusion : se mettre au service de parcours harmonisés impose la pluridisciplinarité.
 
Le vrai retard de la France par rapport à des pays dont les moyens de santé publique sont comparables réside dans la discontinuité des parcours.Comment la psychiatrie et la psychanalyse, séparément ou ensemble, peuvent-elles s’engager encore pour aider les autistes et les TED après des décennies où nombre de leurs ressources matérielles et intellectuelles ont délaissé ce terrain ? [18]
 
Quelles que soient leurs divisions et fluctuations, elles devraient accepter l’ajustement de leurs places, devenue plus modestes mais aussi plus précises et plus discernables dans le monde réel de l’autisme (dont je n’ai certes pas fait un tableau exhaustif, seulement brossé quelques traits mal connus, oubliés ou déniés). Elles peuvent alors se mobiliser à côté des autres disciplines en travaillant en réseau à la mise en œuvre d’écosystemes dynamiques et pluriels inclus dans le monde ordinaire.
 
Bien qu’elle se sentent contestées par la Recommandation de l’ HAS de 2012, elles seraient bien avisées de s’appuyer sur ce texte, si imparfait soit-il. Ce que cette agence de l’état préconise sur les parcours dissipera en fin de compte les exaltations, naïvetés ou dissimulations de tous les courants « suprémacistes » ou sectaires bien plus efficacement que les controverses idéologiques. Les approches comportementalistes qui s’implantent peu à peu ont aussi leur histoire, leur intérêt et leurs dérives depuis plus de 40 ans. Certes, elles revendiquent à leur tour une « suprématie » pour l’autisme. Mais comme ce fut le cas dans les années 90 avec le TEACCH, vouloir réussir l’accompagnement des personnes amènera leurs acteurs à la pluridisciplinarité.
 
On peut prédire que les enjeux de pouvoir et les enjeux commerciaux qui aiguisent les corporatismes anciens et nouveaux échoueront. C’est la consistance des dispositifs pour une continuité depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte qui sera la pierre d’angle, la vraie mesure de la validité des actions pour l’autisme dans la prochaine décennie. C’est elle qui réactive la pluridisciplinarité sans laquelle aucun parcours de vie ne peut être heureux.

Je remercie Sylvain Tousseul pour son invitation au colloque des 28 et 29 mars 2014 “La psychanalyse dans les institutions psychiatriques et sociales » organisé par l’Université Paris VII - Paris Diderot et l’Association l’ Elan Retrouvé, où a été présenté ce point de vue sous le titre « Psychiatrie et psychanalyse : petits pouvoirs conjoints, disjoints, en disgrâce ».[19]

Moïse Assouline, médecin directeur du Centre Françoise Grémy (Hôpital de Jour Santos-Dumont et Unité Mobile pour les Situations Complexes en Autisme et TED), Paris. 
Psychiatre, Hôpital de Jour d’Antony. 
Coordinateur du pôle autisme de l’Association Elan Retrouvé.

 
Notes : 
 
[1] R. Diatkine, C. Stein, D. Kalmanson (1959) Psychoses Infantiles Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Psychiatrie, 37299, M10, p. 1 - 13
[2] Bruno Bettelheim, un autre américain célèbre, est devenu le bouc émissaire des critiques de cette conception qui était alors dominante. La Forteresse vide, NRF Gallimard éd., Paris, 1969 (1967)
[3] On a compris que D.G .S., la Direction Générale de la Santé, et la D.A.S., le Direction de l’Action Sociale (aujourd’hui D.G.A.S.) avaient leurs bureaux de chaque côté du même couloir mais ne communiquaient guère. Aujourd'hui, cette rivalité n’est pas complétement dissipée.
[4] Notons que ce n’est que trente ans plus tard que les tutelles et les secteurs de psychiatrie feront de cette tranche d’âge des 15 – 25 ans une priorité de santé publique en Ile de France (2eSROS,  1998  - 2003).
[5] Remarquons qu’encore aujourd’hui c’est dans nos unités pour adolescents qu’il y a le plus fort taux d’accidents du travail pour causes de « violence » (comparé à celui des nombreux autres services de l’Elan Retrouvé qui accueillent d’autres pathologies que l’autisme). La tradition ici fut, depuis leur création en 1970, de partager avec les parents les difficultés à apaiser ces jeunes au lieu de les exclure ou les éloigner.
[6] Depuis ces années 90, aucun jeune des Hôpitaux de Jour d’Antony et de Santos-Dumont n’est sorti, en fin de séjour, sans une insertion digne préparée avec les familles pendant 1 à 3 ans. Encore aujourd’hui, tout « ancien », où qu’il soit et quel que soit son âge peut avoir recours à leurs services pour un répit ou une réinsertion.
[7] Celle d’Amélie Loquet.
[8] Quelques mois plus tôt (en février 2013) l’Elan Retrouvé avait déposé, parmi d’autres amendements au Plan Autisme 2013, une proposition pour l’ extension nationale du dispositif novateur pour les « Situations Complexes » en autisme et TED, créé en IDF en 2010 – 2012, et dont la mission est entre autres le rattrapage des parcours brisés. Cette extension, probablement jugée trop coûteuse, n’a pas été retenue. C’est donc suite à la perte d’un procès intenté par une famille que le ministère fera un virage spectaculaire, rédigera cette Circulaire sur les Situations Complexes de handicap (pas seulement pour l’autisme donc) et mettra en place avec le Conseil d’Etat la Commission Piveteau (début 2014) pour faire avancer cette question.
[9] Ils importent dans les années 80 le comportementalisme américain, mais la greffe de l’ABA (le comportementalisme « dur » de Lovaas) échoue, tandis que celle du comportementalisme « doux » (de Schopler et Mesibov) va prendre, à l’initiative de parents, notamment le Dr Catherine Milcent, puis ceux des Centre ARIA, et va gagner peu à peu nombre de services de psychiatrie, y compris les nôtres.
[10] Le pôle autisme de l’Elan Retrouvé comporte 5 Hôpitaux de Jour, une Unité d’ Evaluation Diagnostique Fonctionnelle, une équipe d’Interface entre Psychiatrie et Génétique, une Consultation régionale de Génétique, une Unité Mobile pour les Situations Complexes. Il a créé plusieurs associations culturelles (un journal, une compagnie de Théâtre et Voix, des ateliers de musique et d’arts plastiques) et travaille en réseau avec plusieurs établissements scolaires, médico-sociaux ainsi que des associations sociales de loisir et de vacances. Parmi ses unités, certaines ont reçues plusieurs points d’excellence de l’HAS en 2005 et sont probablement les seules capables de répondre avec leurs propres ressources aux deux recommandations de l’ HAS sur l’autisme : celle de 2005 (RPP sur les Diagnostics) et celle de 2012  – à l’exception de certaines méthodes punitives mentionnées par cette dernière comme valides et que notre Commission Médicale Consultative interdit (rappelons que la maltraitance est interdite par la loi et qu’il est devoir des dirigeants d’en anticiper le risque).
[11] Le Pr Charles Aussilloux du CHU de Montpellier et le Pr Claude Bursjstejn du CHU de Strasbourg.
[12] Les Hôpitaux de Jour pour adolescents de Sésame Autisme, maintenant inclus dans « le pôle autisme » de l’Elan Retrouvé, participent aux instances de concertation avec le médico-social, le social et les familles, mises en place par les gouvernements successifs depuis qu’elles existent (1991 : Commission Gillibert ; 1994 : Groupe de Travail de la D.A.S. sur les adultes préparatoire à la Circulaire Veil de 1995 ; CTRA depuis sa création en 1996 ; Conseil d’ Administration du CRAIF depuis sa création en 2000 ; Comité National Autisme depuis 2007).
[13] En 2008, j’ai présenté au C.A. du CRAIF une résolution qui exigeait des pouvoirs publics la priorité pour les prises en charge précoces. Ce fut la seule fois où j’ai interféré, pour cause d’urgence sociale, pour la tranche d’âge des enfants qui n’était pas dans mon domaine de travail (alors limité aux adolescents et jeunes adultes).
[14] Scania de Schonen, porteur de projet à l’HAS pour les méthodes éducatives a répondu à notre interpellation sur des risques de maltraitance que « les méthodes aversives » ont été abandonnées en 2000 par les promoteurs de l’ABA aux Etats-Unis et que tout praticien formé à cette méthode est censé le savoir (Mediapart, septembre 2013). Ce rappel n’est pas dans la Recommandation. Ainsi fait, il devrait freiner les dérives dangereuses de professionnels et d’administrateurs exaltés par certaines pages de la Recommandation de 2012 sur la validité scientifique de méthodes punitives, même si le rappel de Mme de Schonen n’est qu’une réaction officieuse de la HAS et non un rectificatif officiel.
[15] Elles étaient rejetées ou niées dans les années 70 par la psychiatrie. Cependant, il est assez drôle de constater qu’elles l’étaient aussi par la neurologie voire par la génétique à cette époque ! Dans les dossiers, les compte-rendus de consultations dans ces disciplines, quand il y en avait, concluaient presque immanquablement leurs explorations, fréquemment négatives, par : « Il s’agit d’une psychose infantile qui relève d’un hôpital de jour ».
[16] Nos propositions de rajouts au Plan Autisme 2013 sur ces deux sujets (faites en même temps que celle sur les Situations Complexes) n’ont pas été acceptées. Non pas sans doute par hostilité sur le fond mais comme la Recommandation de 2012, devenu le « vase sacré » des références, n’en parlait pas, il était inutile pour le ministère d’aller trop tôt vers des dépenses supplémentaires…
[17] En 2012 dans Mediapart : « Lettre Ouverte au président de la HAS » (2.04.2012) ; dans le Monde : « Soutenir la Recommandation de la HAS malgré les sectarismes » (4.04.2012) ; en 2013 dans Mediapart : « Autisme : nouveaux arbitrages, vieilles méthodes et maltraitance » (9.09. 2013) ; « Autisme : l'enjeu de la protection sociale ». (10.09.2013).
[18] Dans nos centres, un principe organisateur a été défini en 1985 : « Aucun jeune admis ne finira son parcours à l’Hôpital psychiatrique ». Cet axiome a guidé les ajustements de la clinique, les actions de réseau et la création de nouvelles prestations et services qui ont fait de notre pôle autisme de l’Elan Retrouvé une importante ressource pluridisciplinaire, sanitaire, médico-sociale et sociale, dans une partie de l’Ile de France.
[19] C’est la premiere partie de cet exposé qui est présentée ici dans Mediapart (I. Défaillances historiques dans les parcours des personnes autistes). Il comporte deux autres parties qui seront publiées par Sylvain Tousseul en septembre 2014 : « II. Les séquelles du « tout thérapeutique » dans les institutions pour autistes. » . « III. Pour une mise à jour de la clinique des personnes autistes. »



10/06/2014
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